Road trip. The beat goes on…

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(suite) C’était la chanson que chantaient Sonny and Cher, égérie des hippies chics de cet été 72, sur toutes les chaînes de radio, de Los Angeles à Boston...
 « And the beat goes on.
Don't stop the moving.
Don't stop the moving... »


- the ouest side of the street, New York -

Nous sommes début décembre et le vent glacé venant du Nord, s’engouffre avec violence entre les grattes-ciel. Les passants, touristes compris, badent moins longtemps devant les devantures des  magasins de luxe de la 5e avenue. Nous sommes à la fin du voyage. Chacun se sent ici loin de ses bases et caresse le désir d’y revenir. Reste aussi à se séparer de notre fidèle monture, impeccable compagnon de route. Nous le laissons en dépôt dans un garage. Mais on nous prévient : ce n’est pas le meilleur moment pour vendre une moto de ce genre. Ce qui est bien sûr une évidence. Et pour cause, il a déjà neigé et la météo n’annonce pas de miracles pour les prochaines semaines.

Denise et moi prenons contact avec nos amis Check et Anne rencontrés à La Crosse. Ils vivent à South Orange dans le New Jersey. Avec eux, nous décidons de visiter la capitale Washington DC, un peu plus de 200 miles plus au Sud. Premier arrêt, le Smithsonian Institution aux inépuisables ressources. De plus il est gratuit. Nous n’avons le temps que de nous promener dans une des très nombreuses galeries, celle dédiée aux cultures des premiers peuples des Amériques. Est-il nécessaire de rappeler que la conquête de l’Ouest se solda par un terrible massacre et le quasi anéantissement d’une culture autochtone riche d’une incroyable diversité… Contrairement aux idées véhiculées par les westerns et la littérature populaire, les méchants n’étaient pas les indiens… 

Difficile de manquer le Washington national monument haut de 170 mètres, le Lincoln mémorial ou le Capitole. Je reste un peu étonné qu’on puisse visiter sans autre formalité la Maison Blanche et que Richard Nixon, qui vient juste d’être réélu, ne vienne pas nous saluer… Nous poursuivons la visite jusqu’au cimetière d’Arlington créé durant la guerre de Sécession et où reposent notamment J.F. Kennedy dont le cours mandat marqua les esprits et nourrit la légende des Kennedy.

De retour à Wesport, c’est au tour de John avec qui j’avais travaillé en Guadeloupe et à Acapulco de nous contacter. Il nous rejoint avec son amie canadienne Bonnie. Il est tout heureux de piloter la moto avec Denise jusqu’à Manhattan. Curieusement, c’est lui qui avait évoqué à plusieurs reprises l’idée de faire la légendaire Route 66 qui relie Chicago à Santa Monica sur la côte Ouest. Curieusement aussi, même jeune adulte, je n’avais jamais rêvé ni de l’Amérique, ni du Canada, ni d’une aventure telle que celle que je vis. Quant au Québec, c’est à peine si j’en avais entendu parlé jusqu’à un certain jour de mai 1962. Ce jour là, le film « Pour la suite du monde » du canadien Pierre Perrault est projeté au Festival de Cannes. Je le regarde avec étonnement et les sous-titres se révèlent bien utiles, car ces Québécois « pure laine » parlent un français qui est proche de celui des premiers colons venus de Bretagne, de Normandie et du Poitou. C’est une révélation pour moi, le Québec existe bel et bien. Mais, malgré cette reconnaissance tardive, me serais-je dirigé vers Montréal si Michel Rolland, mon ami d’enfance, n’y avait pas immigré ?

Nous nous retrouvons tous dans l’appartement d’une connaissance de John. Un Français. Mais nous constatons que le courant ne passe pas. Le gars nous vire de chez lui et nous retrouvons Denise et moi dehors, un peu embarrassés et déroutés. Pas question de retourner en moto, de nuit sur Westport. Nous décidons d’aller sonner à la porte d’une amie de Denise, Robin, qui poursuit des études à Juillard, célèbre école de musique new-yorkaise. Nous traversons Central Park plongé dans la nuit et passons ainsi sans encombre de l’East Side au West Side de Manhattan pour arriver à brûle-pourpoint ou plutôt comme un cheveu sur la soupe… Ça chante, ça danse. Les locataires et leurs invités font la fête. Nous n’avons ni le goût ni la tenue pour y participer. Après quelques mots d’explication, compréhensive, cette amie nous ouvre la porte d’une des chambres et malgré les flonflons de la fête, nous nous endormons, épuisés. Sûrement pas le meilleur souvenir de notre voyage…

Le temps commence à presser. Nous sommes à des milliers de kilomètres de nos lieux d’origine. La vente de la moto permettrait de débloquer les… compteurs et de payer nos billets retour. Je parcours à nouveau mon carnet d’adresses. Il y a bien cette jeune femme dont mon père m’a donné les coordonnées et qui travaille au Consulat de France. En désespoir de cause, je lui téléphone. Nous parlons à bâtons rompu jusqu’à ce que j’évoque mon périple aux USA, mon retour en France et la nécessité pour nous de vendre la moto. Et là, miracle, elle me parle d’une rencontre récente avec le plasticien Arman qui, verre de Champagne à la main, lui a dit qu’il cherchait une moto d’occasion pour son fils qui réside en France. Elle a la gentillesse de me donner ses coordonnées. Je m’empresse de le contacter. Il ne connaît rien aux motos et me demande de passer pour la faire essayer à un jeune stagiaire niçois. Ce dernier est chargé de fabriquer des cubes en plexiglas transparent de différentes grandeurs dans lesquels le maître se charge de placer des accumulations d’objets divers et variés. Rendez-vous est  pris. L’essai est concluant. Nous nous retrouvons tous dans son loft dans le quartier de SoHo. Nous parlons de Nice où il continue à résider plusieurs mois par an. Il nous présente sa femme, ébène sculpturale, son biographe et homme de confiance qui semble vivre in situ. C’est lui d’ailleurs qui signe le chèque concluant la transaction. J’imagine que, comme Picasso, Arman estime que sa signature vaut davantage que le montant du chèque… Le prix n’a pas été marchandé et nous sommes gagnant car, à l’Argus, la Yamaha coûte plus cher à New-York qu’à Los Angeles. En cause, la proximité avec le pays d’exportation, le Japon.

Surprise, il nous demande ensuite de monter à l’étage du loft la moto qui brille comme un sou neuf. Opération facilité par les dimensions généreuses du monte-charge. Nous installons l’engin dans l’entrée de l’appartement/atelier avec l’idée que, finalement, la moto resterait-là, en attendant peut-être de rejoindre le tragique destin des pianos et des violons que le maître se plaît à découper avant de les exposer dans les Musées et les galeries les plus huppées du monde entier… Je devais rencontrer à nouveau Arman et sa femme au Moulin de Mougins, une trentaine d’années plus tard. Le renommé trois étoiles au Michelin, Roger Vergé, sa femme et sa fille, y avaient invité de nombreuses personnalités de l’art et de la gastronomie. Tobiasse, Folon et Sosno étaient de la fête. Je l’abordais discrètement pour évoquer cet épisode mais il n’en avait pas le souvenir. Je n’insistais pas, ayant appris le décès de son fils à qui était dévolu la fameuse moto.


- last laps...

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage ! Ce n’est pas ces termes que j’emploierais ici. Il s’est agi tout au long de ce périple de résoudre au quotidien les difficultés rencontrées. Ce qui nous a permis de développer ces précieuses facultés adaptatives, celles dont parle si bien Alexis Carrel. Quand à la  bienveillance pour l’autre elle était, dans la durée, le ciment indispensable. Aujourd’hui, nous savons que chacun doit laisser l’autre aller vers son propre destin. Le destin, cet enchaînement d’événements, petits ou grands et de rencontres, qui semble être le fruit du hasard. Denise fera le bilan quelques mois plus tard. Elle est revenue à New-York et travaille dans un magazine progressiste, Ms, très engagé pour la cause féminine. Elle y signera un article sur... son voyage. J’attendrai 50 ans pour faire de même…

The beat goes on, the beat goes on
Drums keep pounding a rhythm to the brain
The grocery store's the super mart,
Little girls still break their hearts,
And men still keep on marching off to war
Electrically they keep a baseball score

paroles de Sonny Bono 

(Suite. Retour à New-York…)


- les toits, NYNY, 1972 -


- "Operator", passez-moi le 22 à Asnières -


- Central Park, NY -


- Marie, Check, Denise, la Maison-Blanche, DC, 1972 -


- le cimetière d'Arlington -