Road trip. Easyrider un jour, easyrider toujours…

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(suite) Les journées d’octobre sont courtes et les étapes souvent aussi. Denise et moi quittons Sioux Falls, la mal nommée, pour La Crosse. Pour y arriver, il faut traverser le Mississippi en empruntant un pont ; d’un côté l’État du Minnesota, de l’autre celui du Wisconsin.




Le Mississippi, avec ses 3 766 km, est l’un des fleuves les plus longs du monde. Si son nom est d’origine amérindienne, la ville de La Crosse est liée, elle, à l’implantation des québécois dans la région. C’est là qu’ils virent les autochtones jouer à un jeu de balle avec des crosses. Ils adoptèrent ce jeu devenu populaire dans les États du Nord de l’Amérique.

Denise et moi arrivons à la nuit tombée, c’est le début du week-end et c’est la fête dans les rues du centre ville. La bière coule à flot et il y a une explication. Une communauté allemande est bien présente depuis la fin du 19e siècle. Ses premiers membres ont apporté avec eux leur savoir faire et créé plusieurs brasseries. Et nous sommes tombés par le plus grand des hasard  sur leur Oktoberfest qui célèbre leur héritage. Nous sympathisons avec un couple du New Jersey, Check et Anne. Les flonflons de la fête terminés, ils nous offre l’hospitalité dans leur camping-car. Nous les retrouveront d’ailleurs plus tard à New York.

Les miles défilent et se cumulent. Il nous arrive de rire sans raison. Sur ces routes si peu fréquentées, nous avons un grand sentiment de liberté, une sorte d’ivresse. Rien ne peut nous arriver. Ce qui ne m’empêche pas parfois de me dire qu’on n’est pas à l’abri de mauvaises rencontres. Ce soir-là, après avoir traîné jusqu’au coucher du soleil sur les tabourets du comptoir d’un de ces coffee shop immortalisés par Edward Hopper, nous quittons la grand route pour bivouaquer. Nous sommes en rase campagne. Des champs à perte de vue. Cette nuit, un bosquet fera l’affaire. Nous dissimulons, plutôt mal que bien, notre moto sur le bord de la route. A ce moment-là, je me rends compte combien nous sommes vulnérables. Je me dis qu’il ne faut surtout pas faire travailler mon imagination. A peine installés, un petit orage nous surprend. Juste le temps de tendre entre deux arbres notre bout de toile. Nous commençons seulement à nous assoupir quand des tremblements secouent le sol et nous alertent. Une dizaine de vaches viennent s’abriter et s’ébrouent sous le feuillu. Nous sommes bel et  bien coincés. Au final, chacun trouve sa place. Mais la nuit est longue et les odeurs puissantes…

De nouveau sur la route, nous cherchons une cabine téléphonique. C’est que nous sommes à plusieurs décennies de la mise à la portée de tous, des portables et de l’usage généralisé du GPS. Il faut consulter les cartes routières, les plans de la ville, regarder les panneaux, mémoriser un trajet, parler aux gens, demander son chemin… Curieusement, ça pose pas de problèmes… J’ai l’idée de visiter une amie, Marie, rencontrée au Mexique et qui vit à Madison, au nord de Chicago. Elle et ses deux filles habitent dans un quartier coquet, aux larges rues arborés. Le gazon est fraîchement coupé et, comme à peu prés partout en Amérique du Nord, aucune clôture entre les habitations. De même, je m’étonne toujours de l’absence généralisée de persiennes et la rareté des rideaux aux fenêtres et aux larges baies. Nous ne resterons pas, car Anne est en instance d’un divorce agité et juge prudent de ne pas nous garder pour la nuit.

J’en profite pour téléphoner au fils d’un marchand de chaussures très connu de Cannes. Il s’est installé à Chicago. Nous ne sommes jamais vu mais nos pères se connaissent. Nous n’appartenons pas à la même classe sociale. Le fait d’être cannois fera ce soir-là office de passeport. Nous arrivons dans notre tenue de motard du bout du monde, crottés comme jamais. Nous mettons notre moto à l’abri dans le garage familial où stationnent deux splendides Mercedes cabriolet, gages d’une flagrante réussite sociale. Pendant deux jours, ce couple, la femme est américaine et leur deux filles charmantes et bien élevées, nous font visiter la ville. De toute évidence, ils aiment s’encanailler et nous dînons dans un des restaurants connus pour leur proximité avec la pègre locale… Cette brève et  plaisante rencontre n’aura pas de suite. Les barrières sociales ont la vie dure…  




Au sortir de Chicago, nous obliquons vers le Sud. Nous venons juste de traverser des quartiers… défavorisés. Nous sommes impressionnés par l’état de délabrement des lieux, un peu inquiets d’être ici les membres d’une minorité visible aux yeux d’une minorité qui ne l’est pas… La conduite devient soudain hasardeuse. Le pneu avant a crevé. Il s’agit de ne pas traîner et de  vite trouver une solution. Nous rangeons la moto sur le côté, démontons la roue et je marche à l’aventure, à la recherche d’un garage. La chance est avec nous et le problème est réglé au mieux. 

Nous évitons Indianapolis pour nous rendre à Bloomington, Indiana. C’est là que Denise a fait une partie de ses études de musique qui l’on conduit à envisager une carrière de violoniste soliste. Elle y a gardé quelques camarades qui nous accueillent gentiment. J’en profite pour faire un tour à la piscine de 25 yards de l’université. Des nageurs de niveau national, voire international, y répètent leur gamme  à huit ou neuf par ligne d’eau, en déclinant les quatre nages. Un petit groupe se rassemble hors de l’eau devant un tableau noir et écoute avec attention les explications d’un coach sur ce qui semble être une leçon de biomécanique. C’est là qu’officie James Counsilman, le mentor d’un dénommé... Mark Spitz, le nageur aux 7 médailles olympiques en or. Un couple qui est en train d’écrire une page de la natation moderne.

Nous choisissons une localité de plus modestes dimensions que Cincinnati comme prochaine étape : Urbana. Il y a des écoles un peu partout dans la ville. Sa bibliothèque nous offre l’hospitalité pour la soirée, avant que nous nous faufilions dans un parc municipal pour nous enrouler dans nos sacs de couchage… Passés Columbus puis Cleveland, nous longeons un moment le Lac Érié. Son eau est cristalline. On parle pourtant de pollution mais, sur ce tronçon, elle n’est pas évidente, sachant toutefois qu’en la matière, le pire danger peut venir de ce qui ne se voit pas...  Ah, ces Grands Lacs américains, lieux où évoluaient les héros de mes livres d’enfance. Où êtes-vous, Kit Karson, Sitting Bull, Davy Crockett, Géronimo… Que sont les Iroquois devenus ? Ont-ils suivi la triste fin des derniers des Mohicans ?

Je tiens à m’arrêter à Buffalo dans l’extrême nord de l’État de New York. Sans entrer dans les détails, c’est là d’où vient une jeune étudiante, Emily, rencontrée à Lindos en Grèce quelques années plus tôt. Elle fut la cause d’un changement radical de mes priorités… Ses parents nous reçoivent gentiment et nous donne quelques nouvelles. Une page se tourne, une autre s’écrit, définitivement autre. 

Des panneaux nous annoncent bien  en avance que nous approchons de la frontière canadienne. Nous la franchissons au niveau de Niagara Falls. Là-aussi, le fait que nous soyons hors saison nous donne l’impression que le site nous appartient… Nous sommes toujours en 1972 !

« There was nowhere to go but everywhere, so just keep on rolling under the stars. » Kerouac

(à suivre, l’Ontario, Toronto, Ottawa, premiers pas au Québec...)