Québec. Sur les routes de la francophonie...

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(suite) Nous avons quitté la ville de Hull ce matin et, dès mes premiers kilomètres sur les routes québécoises, j'ai l'impression que je remets les pieds en Europe. Après deux ans d’absence, cela est une évidence. Les routes sont plus étroites, plus encombrées, plus bruyantes, en moins bon état. Denise et moi devons adapter notre conduite et changer un peu notre façon de conduire. Nous avons souvent utilisé l’ingénieux système permettant de modifier la souplesse du guidon. Quasiment bloqué, le guidon est plus confortable pour négocier les courbes… Mais, arrivés en milieu urbain, le fait de ne pas redonner du mou à la fourche avant, nous vaut quelques chutes… sans gravité sinon celle de froisser notre amour propre.



- Montréal, l'arrière de la rue Bressani -

Nous longeons la rivière Outaouais sur environ 200 kilomètres, ce qui est à peu près notre quotidien. Celle-ci donne naissance au Lac des Deux Montagnes, nous jetons un coup d’œil à l’île Bizard, traversons la ville de Laval avant de pénétrer dans l’île de Montréal, à la recherche d’un ami d’enfance, Michel, parti quelques années auparavant à l’aventure. Il semble que ce ne soit pas la bonne adresse. Le gérant d’une station service nous envoie dans l’Est, quartier Saint Léonard. Chou blanc ! Une patouille de police avoue ne pas connaître. Au bout de 2 heures, nous abandonnons. Je me résous à téléphoner à un couple de franco-québecois, les Pinard, rencontré au Mexique. Leur porte est grande ouverte et nous passons la soirée à évoquer cette excursion qui est restée gravée dans leur mémoire. J’avais conduit un petit groupe d’une dizaine de personne d’Acapulco, à Taxo, Cuernavaca, Mexico city, la presqu’île du Yucatan avec la visite de Chichen Iza et de Uxmal. Mais le clou fut la visite de Palenque. Le site, perdu dans une forêt dense, avait été dégagé et, dans les années 70, étaient encore peu visitées. Pour y aller, nous avions pris, à partir de Merida, un petit train qui nous laissa en pleine campagne, là où des taxis attendent les touristes avertis. Nous avons aussi bien ri en nous remémorant la partie de poker à laquelle nous avions joué dans ce train de western… Ce soir-là, notre hôte nous a régalé d’une viande grillée aux sarments de vigne. Originaire de Bourgogne, il demande toujours que les scies de bûcheronnage dont il fait l’importation, soient emballées avec des sarments...


- dans le petit train de Merida vers Palenque -

Assumant que mon ami Michel s’est inscrit comme expatrié au consulat français. Je téléphone à leurs services. Ils me proposent de le contacter et de lui communiquer mes coordonnées. Quelques minutes après, j’ai Michel au téléphone et une adresse où le rejoindre. Lui et sa femme Isola, nous gardent chez eux plusieurs jours. Ils habitent dans le quartier populaire de Saint Michel, au Nord de la presqu’île et logent à l’étage dans un duplex dont le bas est occupé par les beaux parents, des québécois « pure laine » comme on dit ici. Ces derniers nous invitent. Je remarque qu’il y a une télévision en activité dans chaque pièce principale, dont la cuisine qui fait aussi office de salle à manger. C’est le lieu de rencontre favori de toute la famille. Ce jour-là, c’est une véritable cacophonie. On ne s’entend plus et j’ai du mal à tout comprendre. Il y a des mots en « joual » et des expressions québécoises déroutantes… Je prends l’initiative de baisser discrètement le volume de la télévision que personne n’écoute. Mais, la maîtresse de maison, en passant devant, remonte machinalement le son qui n’est plus au niveau habituel. Elle nous propose une « liqueur ». Je suis un peu surpris car il est trois heures de l’après-midi. En fait, il s’agit d’une boisson soda… Quant à Michel, il m’avoue avoir été déstabilisé, lors d’une invitation, pour lui sans ambiguïté, à monter pour « une petite secousse » lors d’un rencard. Il ne s’agissait en fait que d’« un petit moment »... Il me prévient aussi, qu’ici, on dit bonjour pour au revoir. 


- Montréal, boulevard Décarie -

Dans notre enfance cannoise nous avons tous eu, à un moment ou à un autre, une mobylette puis un scooter mais nous avons tous rêver d’une moto, genre Norton ou mieux d’une Triumph. Peu en ont eu une. Je ne suis donc pas surpris de voir que Michel, maintenant marié et bien installé à Montréal, ait fait l’acquisition d’une moto de cross avec laquelle il participe à des compétitions provinciales. Juste derrière chez lui, un vaste terrain vague lui permet de s’entraîner régulièrement. Nous confrontons nos deux machines destinées à des usages différents… Nous l’accompagnons d’ailleurs une fin de semaine dans le bas du fleuve, à Rivière du Loup, pour une championnat régional. Spectaculaire et bruyant à souhait ! Sur la route, nous nous arrêtons dans une station service pour casser la croûte, et boire une bière Molson à la bouteille. Sur le comptoir, un bocal est rempli d’œufs durs sans leur coquille qui baignent dans du vinaigre blanc. Je me réfère alors au texte de Jacques Prévert : « Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain. Il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim. » Ce qui est loin d’être notre cas.


- Kawasaki, quartier St Michel, 1972 - 

Michel me fait partager son rituel très franchouillard du dimanche matin. A commencer par une visite à une des rares boulangeries françaises - nous sommes en 1972 - où nous achetons croissants et baguettes. Arrêt dans une épicerie italienne où pendent au plafond, à côté des jambons, des dizaines de fromages, des provolones qui viennent de Sicile. Ce sera pour nous une tranche de gorgonzola, un morceau de parmesan et un talon de « prosciutto » de Parme hors de prix... Toujours dans le quartier de la Petite Italie, passage obligé par le Marché Jean Talon qui, en automne fonctionne au ralenti. Reste quelques stands ouverts qui proposent des légumes d’hiver, des conserves maisons, des bocaux de relish, des pots de miels et des canettes de sirop d’érable… Sur le retour, nous nous arrêtons dans un centre commercial pour récupérer la commande d’une ordonnance médicale. Eh oui, Charles Trenet en avait été le premier surpris : « Dans les pharmacies, dans les pharmacies… On vend du nougat et du chocolat, des bonbons au citron, des stylos… Ces pharmacies-là sont celles du Canada où l'on prend ses repas… On y vend aussi des pilules… Car ici, ce n'est pas un crime de commander un ice-cream où l'on ajoute un peu de soda... »


- avenue du Parc / rue Bérubé -

Ouf, j’ai l’impression d’avoir fait le tour de l’île de Montréal. Mais je ne suis pas au bout du dépaysement. Isola a oublié d’acheter du Coke et du Sprite et elle reçoit cet après-midi de la parenté. Nous nous rendons donc chez le petit dépanneur du coin. Une institution. Ouvert de 9 heures à 11 heures du soir, on y trouve… tout ce qui manque à la maison, aussi des cigarettes et de la bière aux heures permises. Ce dimanche après-midi, Michel tient à me montrer ce qu’est le « magasinage », considéré pour certains comme un véritable loisir. Il m’amène dans un des ces Centres commerciaux hors normes installés à la périphérie de la ville. Immense labyrinthe de boutiques diverses et variées, produits alimentaires, vêtements, chaussures, magasins de sports, de bricolage… On y vient aussi pour déjeuner, pour bruncher, à toute heure pour un en cas, dans un des nombreux lieux de restauration rapide, pour les hot dog d’Harvey’s, les sandwiches chez Submarins, les pizzas épaisses, les hamburgers en veux-tu en voilà, sans oublier les poulets frits Kentucky du colonel Sanders dont la digestion n’est pas toujours aisée… tout ça à grand renfort de Coca Cola et de Seven up...



- le dépanneur du coin...

A la radio, Charlebois et Diane Dufresne prennent le relais de Félix Leclerc et montrent le chemin à  une génération de musiciens et de chanteurs compositeurs québécois, engagés et talentueux. Pour nous, il est temps de penser à dire au revoir à la Belle Province et ses habitants qui cultivent le tutoiement avec bonheur. Nos amis nous retiennent jusqu’à l’Halloween, une fête typiquement nord-américaine dont j’ignorais l’existence jusqu’à peu. Nous sommes le 31 octobre au soir. Nos hôtes ont fait provision de bonbons et d’autres friandises en prévision de la coutume qui veut que les enfants aillent sonner ce soir-là à toutes les portes. Déguisés en sorcières, fantômes, vampires et autres monstres, ils y vont de leur « Trick or treat! qui signifie des bonbons ou un sort ! »


- le hockey de rue...

Denise et moi n’attendons pas d’apprendre par cœur les paroles de la chanson de Gilles Vigneault : « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver... » pour comprendre qu’il est temps de reprendre la route, vers le sud cette fois. A la télévision, la présentatrice de la météo annonce qu’on frise les 32° Fahrenheit et nous parle de la température... ressentie. Il neigeote depuis deux jours et la neige commence à tenir sur la chaussée. Le signal du départ approche. 


- Montréal, quartier chinois -


(À suivre : le Pont Champlain, l’État du Vermont, celui du Massachusetts… Boston, Westport, New York City…)