La décentralisation voulue par De Gaulle...

Catégorie Les paradoxales

Paul Graziani fut le Président-fondateur de l'Institut de la Décentralisation, Président du Conseil Général des Hauts de Seine, Député et Sénateur-maire de Boulogne-Billancourt. Il est aussi l'auteur d'un ouvrage de référence « Le nouveau pouvoir - essai sur la décentralisation » aux éditions Albin Michel, 1985. Décédé en août 2012, il fut un homme politique discret, indissociable de l’histoire du département comme l’écrivait Patrick Devedjian en lui rendant hommage. Il résumait pour nous, en février 2002, l’état du dossier... dossier toujours d’actualité :



- Paul Graziani entouré par Jean-Pierre Raffarin et Roger Karoutchi -


« Aurait-on perdu plus de trente ans pour réformer la France, avec pour levier la décentralisation ? La question peut paraître curieuse mais elles se justifie pour qui est fidèle à ce legs exigeant du Général De Gaulle. Son nom s'efface peu à peu des références du débat politique. Affaire de génération politique ?


Pourtant, dès 1969, en visionnaire, le fondateur de la Vème République avait montré le chemin d'une refondation de l'architecture politique et administrative de la France. Et déjà, dans Vers l'armée de métier, c'est à dire en 1934, il y a 70 ans, il écrivait : la seule voie qui conduise à l'esprit d'entreprise, c'est la décentralisation. Dans Le Mal Français, permanent hélas, Alain Peyrefitte rappelait que le message du Général était : La priorité des priorités, c'est de remodeler la France pour libérer les énergies des Français. La grandeur, devant l'Histoire et devant l'étranger, viendra de surcroît quand la France aura trouvé, à l'intérieur d'elle-même, un nouvel équilibre.


Face à une crise de civilisation De Gaulle avait eu la prémonition d'une solution politique stratégique fondée sur le ressourcement indispensable de l'action publique au plus près des réalités du terrain. Mais son génie historique, sa science, furent surtout d'avoir compris la nécessité de mettre fin à la centralisation précisément pour revitaliser la France à partir de ses forces vives, du pays réel, de l'énergie des petites patries. Il avait posé les bases d'une politique dont on semble redécouvrir, sans oser l'avouer vraiment, les vertus et les nécessités… trente trois ans plus tard.


On pourrait multiplier les comparaisons pour souligner les analogies et les différences, d'époque en époque, mais rien que l'invocation omniprésente de la proximité comme enjeu de la politique actuelle suffit. En 1977, le mouvement gaulliste écrivait dans ses Propositions pour la France : contrairement aux autres pays, la France n'a pas encore l'expérience de cette liaison constante et intime entre la démocratie locale et la démocratie globale. Le moment est venu d'en faire l'apprentissage. Vingt-cinq ans plus tard, on mesure la permanence de cette exigeante ambition.


Il n'est pas indifférent de constater qu'une prochaine révision de la Constitution devrait consacrer la Région comme collectivité territoriale et que l'on annonce qu'en 2003, on procédera à une nouvelle répartition des compétences, des pouvoirs et des moyens entre l’État et les collectivités. Ajoutons à cela une tranquille réforme du Sénat qui se dessine doucement et l'on retrouvera, une génération après, quelques... nécessités gaulliennes.


Vingt ans ont passé depuis les lois Defferre de 1982. Pour ma part, la décentralisation a été une conviction profonde qui a guidé mon action dans l'exercice des mandats électifs qui m'ont été confiés pendant près de quarante ans. En 1982, alors Président du Conseil Général d'un puissant département, j'ai eu la responsabilité de mettre en place les nouvelles structures de ce département (le Président devenant le véritable patron exécutif du Département et le Préfet un Commissaire d la République) puis, plus tard au Sénat, d'être désigné en qualité de Rapporteur de l'important projet de loi sur l'Organisation Territoriale de la République.


Le bilan contrasté de la décentralisation d'alors débouche maintenant sur une nécessaire… redistribution des pouvoirs locaux et du périmètre d'action de l’État. La tâche est particulièrement ardue, d'autant que le citoyen-électeur-contribuable devra être considéré, à priori, comme le consommateur final de cette nouvelle réforme de fond. La montée des abstentions sanctionne aussi l'illisibilité des responsabilités politiques et le local n'y échappe plus. Retrouver le citoyen passe par sa participation. La participation : encore une certaine idée gaullienne à redécouvrir…


L'action de réforme à conduire est d'autant plus rude que le temps est compté puisqu'en 2004 auront lieu les élections cantonales et régionales et que l'Europe pèsera aussi sur le paysage des Territoires de la République. La capacité de pédagogie civique des responsables nationaux va trouver à s'employer et les relais de terrain vont s'avérer indispensables.


Le moindre des défis de toute nouvelle étape législative de la décentralisation sera, pour le gouvernement et sa large majorité, d'y trouver une dimension et une portée dignes de l'enjeu. Cet enjeu, vital si l'on veut tirer la leçon du séisme de ce printemps 2002, c'est toujours celui de la Réforme de l’État et de la place centrale du citoyen.


Il a fallu une génération pour en comprendre l'urgence mais l'on permettra aux vieux gaullistes décentralisateurs, plutôt rares hier, de défendre avec ardeur l'actualité de l'ultime message d'un républicain nommé De Gaulle. »



Paul Graziani (1993)