Les soignants face à la mort de leurs patients…

Catégorie C'est notre santé

Chaque jour, dans les hôpitaux français, des soignants accompagnent leurs patients jusqu’au dernier souffle. Ils ferment des paupières, soutiennent des familles, puis, sans délai, reprennent leur tournée. Or, on ne s’habitue jamais à la proximité de la mort.




Mais cette répétition, invisible aux yeux du public, laisse des traces profondes : angoisse, fatigue morale, sentiment d’isolement. Derrière les chiffres d’activité se joue un drame silencieux, celui d’hommes et de femmes confrontés sans cesse à la perte, sans espace pour déposer leur peine.

C’est précisément cette réalité que le rapport « Les Survivants », dirigé par le Pr Thibaud Damy (Hôpital Henri-Mondor, Créteil), met aujourd’hui en lumière. Basé sur une enquête nationale menée auprès de 384 soignants hospitaliers, il dévoile une souffrance émotionnelle largement méconnue : absence de formation à la fin de vie, manque de soutien psychologique, épuisement moral et burn-out latent. Ce travail inédit dresse le portrait d’un système qui soigne les autres, mais oublie souvent de protéger ceux qui soignent.

Dans les services hospitaliers, la mort s’invite quotidiennement dans la routine de soin. Elle n’est ni rare ni exceptionnelle : un soignant y est confronté en moyenne 27 fois par an, et 15 % de ces décès surviennent de manière brutale. À cette fréquence, la mort n’est plus un événement, mais une répétition, parfois plusieurs fois par semaine, dans des conditions souvent éprouvantes.

Pourtant, l’accompagnement de la fin de vie reste un angle mort de la formation : 93 % des professionnels interrogés estiment n’avoir reçu aucun enseignement adapté sur la manière d’y faire face. L’étude révèle également que 64 % d’entre eux ne bénéficient d’aucun soutien institutionnel après un décès.

Ce décalage crée une tension permanente : comment accompagner la détresse des autres lorsque l’on ne dispose d’aucune ressource pour affronter la sienne ? Les soignants, souvent jeunes diplômés, apprennent à gérer seuls cette charge émotionnelle, sans cadre, sans espace de parole, ni reconnaissance officielle. Le soutien des collègues constitue parfois la seule soupape d’équilibre. Mais il ne suffit pas à compenser le silence des structures hospitalières.

Derrière la façade du professionnalisme se joue un apprentissage tacite : se taire, avancer, reprendre le travail. Pourtant, pour le Pr Thibaud Damy : « Les soignants ne sont pas des machines. Ils absorbent la détresse, la douleur, la mort. Et on les laisse seuls avec ça. » 

En effet, malgré cette exposition quotidienne à la mort, aucun protocole formalisé de soutien n’existe dans la majorité des établissements. Les entretiens post-événement ou groupes de parole sont rares et reposent souvent sur des initiatives locales. Les soignants apprennent sur le terrain à affronter ces situations, souvent par mimétisme ou instinct, sans repères ni accompagnement théorique.

Malgré ces conditions éprouvantes, le lien humain demeure une source de sens pour le personnel hospitalier. Cette qualité relationnelle constitue une force, mais elle accentue aussi la vulnérabilité : plus la proximité émotionnelle est forte, plus le choc du décès est intense.

Le projet « Les Survivants » ne se limite pas à dresser un constat. Il formule des recommandations destinés aux établissements de santé, aux institutions de formation et aux décideurs publics. Elles visent à replacer la santé psychologique du personnel hospitalier au cœur des politiques publiques de santé.



- élèves infirmières, USA, 1930,
"apprend-on jamais à côtoyer la mort ?" -