Radio Bahamas…

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- 23 janvier 1977, suite du voyage -


- John avec notre "hawaiian sling" et Eva - Warderick Wells -


Exuma est un mini archipel composé d’une multitude de cays qui s’éparpillent sur une bonne centaine de kilomètres du Nord au Sud. Ils conduisent les Petits Poucet que nous sommes sur l’île principale dont le capitale est Georges Town. Avant d’y arriver, nous prenons tout notre temps, nous arrêtant d’abord à Allan’Cay où le courant nous décourage d’en approfondir les fonds, pourtant superbes. Warderick Wells est un magnifique ancrage, nous y sommes seuls. Nous découvrons de petites plages d’une sauvagerie des premiers jours. Nous nous réveillons en pleine nuit. La lune est grandissime. Le silence, auquel nous sommes pourtant habitués, semble avoir fait un arrêt sur image. Tout semble figé sauf les petits poissons qui évoluent sous nous. J’avais déjà vu des images d’Épinal destinées à vendre une destination où des bateaux semblaient flotter dans l’air, tellement l’eau est claire et immobile. Mais là, en pleine nuit, ça semble irréel. Une petite murène sort de sa cachette et s’aventure à découvert dans ce no man’s land… Elle aussi semble flotter dans l’espace. Un couple de raies bat des… ailes sans pour autant troubler l’onde. L’annexe de Sumala projette son ombre sur le fond sableux...

27 janvier. Sur les ondes courtes, j’écoute assez régulièrement la radio. Cette fois, je tombe sur des émissions françaises que je connais bien, L’oreille en coin sur France Inter et Marche ou rêve avec Claude Villers, animateur radiophonique hors pair. Mais non, je ne rêve pas, je suis bien aux Bahamas et je vis une expérience pour le moins improbable. 

28 janvier. Ces cays sont des sortes de timbres poste rocheux de différents tailles. Celui-ci se nomme Kemps Cay. Les équipages de Wisper et de Delivrance partagent un barbecue de poissons et de langoustes sur la plage. La chienne Eva a droit, elle, a son poisson perroquet. Nous profitons de cet abri pour faire quelques travaux de peinture. J’allume la radio avec parcimonie car il faut économiser la batterie. Les époux Claustre sont libérés. Valéry Giscard d’Estaing rend compte, lors du dernier conseil des ministres, de son déplacement en Arabie saoudite. D’ici, tout ça me semble bien abstrait... 

J’ai souvent l’impression de vivre dans un aquarium géant. Je m’applique à noter tous les membres de la faune sous marine que je côtoie. Il y a des rares tortues, des murènes, des conques, des porcelaines, des crabes,  des langoustes, des requins. Des oursins aussi aux longues épines venimeuses. J’en avais fait déjà l’expérience à Acapulco. Quelques épines fichées dans les pieds avaient suffit pour me donner plusieurs jours de fièvre. Bien sûr les variétés de poissons sont les plus nombreuses. Les raies, toujours élégantes dans leurs déplacements, les mérous, les poissons lunes, les poissons perroquets aux formes, couleurs et tailles diverses... Dans ce panthéon, les barracudas occupent avec les requins une place à part. On les craint par leur aspect et comportements inquiétants. Neuf fois sur dix, peut-être même plus, à chaque plongée, un, deux ou trois barracudas s’invitent. Certains ont plus d’un mètre de long. Le plus souvent, ils se placent derrière nous et nous font face lorsque nous nous retournons, ouvrant et refermant leur impressionnantes mâchoires aux longues dents acérées. Heureusement, ils n’attaquent l’homme que très rarement, nous affirme-t-on. Un « très rarement » qui nous incite à éviter de l’agacer... La flore sous-marine est tout aussi abondante et variée… Gorgones, anémones, éponges, coraux, et immenses herbiers d’algues ondulent au gré des courants et des marées (étonnement faibles), et forment un immense jardin. 


- Warderick Wells, Bahamas -

1er février. Nous passons du temps à brosser la coque du bateau et continuons à effectuer des travaux de peinture. Je capte Radio France international. Jean Diwo y est interviewé par Jacques Chancel. Le patron de Télé 7 Jours, grand reporter à Paris Match et écrivain prolixe, est un ami. Ça me fait drôle d’entendre sa voix. J’ai une pensée pour sa femme, Jacqueline Michel. Brillante journaliste qui intervient dans l’émission que j’adore, « Le Masque et la plume ». Elle est connue aussi pour son livre « La déprime ». Elle sait trop bien de quoi elle parle... Elle relie ce mot à la dépression alors que jusque-là, il était plutôt utilisé à propos d’un affaissement ou lorsque la Bourse est... morose. Quant à leur fils François qui rêve de devenir animateur radio, son talent de photographe est indéniable. 

Je tripatouille encore les ondes courtes et tombe sur une radio albanaise qui diffuse en français, sa propagande communiste. Elle cite Georges Marchais en référence… Il est vrai que nous ne sommes plus loin à vol de... mouette de Cuba. On nous annonce dans la foulée une tempête de neige dans les États du nord de l’Amérique. La ville de Buffalo est sinistrée.


Un Bahamien nous rend visite. Il godille avec agilité sa barque. Il paraît très âgé. Il nous parle d’un temps, où les langoustes, en période de migration, couvraient les fonds marins. Il se plaint des bateaux usines qui viennent de l’autre bout du monde pour tout racler. Il nous demande en partant si nous n’aurions pas quelques bouteilles d’eau et de conserves à lui donner. Nous sommes bien loin de la capitale, Nassau, et de sa prospérité basée principalement sur son système bancaire et fiscal… avantageux. Un flagrant contraste avec la population de certains îlots. Nous appendrons par ailleurs que les immigrés haïtiens et leurs descendants constituent 25 % de la population des Bahamas. Nous aurons bientôt l’occasion de voir l’arrivée de migrants en provenance d’Haïti débarquer d'une barcasse aux voiles en piteux état, sur une île plus au sud de l’archipel.


- bateau venant d'Haïti -

5 février. Routine : peinture, vernis, chasse… alimentaire sous-marine, soleil, sieste, France Galles à XV à la radio. 

6 février. Départ pour Staniel Cay. Réapprovisionnement en nourriture d'origine... terrestre… épouvantablement chère. Je finis la lecture de « Cette mer qui nous entoure » de Raquel Carlson. L’enthousiasme est convaincant, l’émotion aussi. L’auteure est surtout connue pour son « Printemps silencieux » écrit en 1962. Première activiste écologiste américaine à secouer le cocotier et à dénoncer les pesticides. Grâce à cette biologiste marine, l’usage du DDT fut interdit. Collector !

8 février. Arrêt à Little farmer Cay en fin de journée. Beaucoup de vent et de pluie. Un seul bateau dans la baie mais trop près de nous car nous tournons tous les deux sur nos ancres et menaçons de les emmêler. Nous dormons mal, inquiets. Le calme revient et nous faisons connaissance avec nos voisins du « Sabbatical ». Warly, Ursula, Beverly, Brigitta, Ed, membres de cette sympathique famille du Minnesota partie un an à l’aventure. Une aventure assez confortable, voire luxueux. Apparemment ils ont les moyens. Le voilier est spacieux, chacun a son coin à lui. Il y a tous les appareils ménagers qu’on peut rêver, à commencer par un congélateur bien garni. Nous apprendrons que le père s’absente une fois par mois pour rentrer à Minneapolis traiter ses affaires, laissant sa famille sous la responsabilité de son fils de 19 ans. 

10 février. Sur le chemin vers Darbey island, je capture à la main plusieurs langoustes de bonne taille. Nous partageons avec ceux du Sabbatical. Pour nous remercier, ils nous invitent sur leur bateau et nous offrent un festin. Roast-beef, purée de pomme de terre, salade mixte, bière, bonbons, pudding avec une sauce au chocolat. Autant de choses qui ne sont plus à note menu depuis le départ de Fort Lauderdale en décembre dernier. Elles n'en ont que plus de prix...


- Grand Turk, Eva -

  • (à suivre) Cuba serait à une journée de voile mais ce n’est pas au programme. L’idée, c’est de se rendre sur l’île d’Hispagnola, en passant par les archipels Turks et Caïcos.