Lactalis, c’est vache...

Premier groupe laitier mondial et comptant parmi les 10 premiers groupes alimentaires mondiaux, Lactalis cumule les atteintes à l’environnement et ne semble pas s’en émouvoir. Les experts de France Nature Environnement débriefent :


- Perette Lactalis et le pot au lait… photo Gérard Janot -


Lactalis est régulièrement condamné pour pollution des eaux. Mais au-delà de ces affaires traduites en justice, combien de sites ne sont pas inquiétés malgré des rejets illégaux et des économies faites sur le dos de l’environnement ? Les associations du mouvement France Nature Environnement (FNE) engagent une campagne de surveillance et d’action en justice face à la multinationale qui bénéficie souvent d’une complaisance de l’administration à son égard.

Ainsi, à Riom-ès-Montagne, la Société Fromagère de Riom, filiale de Lactalis, fabrique et affine des fromages avec 280 tonnes de lait traitées et transformées par jour. En 2020, des écoulements anormaux et une mortalité piscicole sont constatés dans la rivière de la Véronne. Une enquête est rapidement ouverte et des prélèvements d’eau sont analysés. Très vite, le lien est fait avec l’usine fromagère. En cause, un dysfonctionnement majeur de sa station d’épuration qui déverse dans le ruisseau ses eaux usées contenant des taux élevés d’ammonium et de nitrite.

Le 13 mai 2022, une nouvelle pollution est constatée. Deux tonnes et demi de lactosérum brut sont rejetées dans la Véronne à la suite du débordement d’une citerne de l’usine. S’en suivent deux visites de l’inspection des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) qui constatent plusieurs infractions à la réglementation.

« Malgré notre dépôt de plainte en tant que victimes, nous sommes oubliées lorsqu’une ordonnance pénale est rendue sans audience en 2022 », regrette Norma Jullien Cravotta, juriste chez FNE Auvergne-Rhône-Alpes. Le recours à une ordonnance pénale, procédure simplifiée généralement utilisée pour traiter les affaires pénales de faible gravité a abouti à une amende dérisoire de 5 500 euros pour la Société Fromagère de Riom... L’entreprise est aujourd’hui assignée devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand par FNE, FNE Auvergne-Rhône-Alpes et FNE Cantal.

Autre filiale de Lactalis, la Société Fromagère de Lons-le-Saunier fabrique en moyenne 40 000 tonnes de produits à base de fromage fondu par an. Tout comme la filiale de Riom-ès-Montagne, de Raguin-Vercel, de Xertigny et Laval-Change, elle est l’un des 13 sites ayant fait l’objet d’un plan de ‘vigilance renforcée’ du Ministère de la transition écologique en 2021 qui a exigé des mises en conformité pour 2022. Il s’agit du seul site de Lactalis encore maintenu en vigilance depuis 3 ans car la compatibilité de ses rejets d’eaux industrielles dans la rivière n’est toujours pas assurée.

FNE et Jura Nature Environnement ont porté plainte auprès du parquet de Besançon pour de multiples infractions de la fromagerie de Lons-le-Saunier. Chaque visite de l’inspection des ICPE en 2017, 2020 et 2022, a constaté des anomalies. Parmi elles, une infraction qui se répète étrangement dans plusieurs sites en France : le dépassement des valeurs limites de rejets dans les eaux (azote, phosphore, cuivre, zinc, chrome…). Au vu du caractère majeur des infractions, le préfet a pris un arrêté de sanction en décembre 2022 exigeant des rejets conformes sous 1 an maximum. Cela fait maintenant plus de 5 ans que ce site a des rejets non conformes et l’exploitant ne cesse de demander des délais supplémentaires. Il y a quelques jours à peine, la préfecture a imposé une amende administrative de 30 000 euros car les eaux usées rejetées sont encore polluées et impactent le cours d’eau. Il était temps…

La liste des cas de dégradation de l’environnement par des filiales de Lactalis est longue. Dans la Manche, la société beurrière d’Isigny rejette des polluants responsables de la dégradation de la qualité du ruisseau Yvrande. En 2022, un incident survient dans le fonctionnement de la station d’épuration qui traite les effluents de la société laitière de Montauban. En 2024, à Réquista en Aveyron, l’inspection des installations constate que les volumes d’eau prélevés dans le cours d’eau sont supérieurs aux volumes autorisés. Comme Lactalis, de nombreux industriels sont à l’origine de pollutions qui impactent la biodiversité et la santé humaine. En cause notamment, le manque de contrôles avec moins de 25 000 inspections réalisées en 2023 sur les 500 000 ICPE. FNE demande une augmentation concrète des effectifs d’inspecteurs et d’inspectrices, tel que le recommandent plusieurs rapports sénatoriaux.

Selon Anne Roques, juriste chez FNE : « Les industriels doivent respecter le code de l’environnement. En cas d’infraction, l’exploitant doit être mis en demeure de la faire cesser par l’administration. Dans les faits, l’État est souvent trop permissif, comme avec le géant laitier. En 2023, moins de 20 % des arrêtés de mise en demeure ont débouché sur des sanctions administratives. Notre mobilisation sur Lactalis démontre que cela est insuffisant ». 

  • Lactalis a collecté 20 milliards de litres de lait en 2020 sur ses 266 sites de production laitière, dans ses 70 sites, dont 5,6 milliards de litres en France. Par ailleurs, le groupe est soupçonné de nombreuses fraudes. Ainsi, en février 2024, des perquisitions ont lieu au siège de l'entreprise, dans ses bureaux parisiens et dans l’hôtel particulier du PDG, dans le cadre d'une enquête du Parquet national financier pour des soupçons de fraude fiscale massive et de blanchissement de fraude fiscale…