La cité des Bonheurs : Bou-Saâda…

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Les souvenirs de son enfance en Algérie coulent dans les veines de Joselyne Mas et alimentent une nostalgie sans vaine aigreur. Installée à Cannes, elle nous régale de récits instructifs autant qu’évocateurs sur son pays d’origine. Aujourd’hui, elle nous conduit à Bou Sâada aux portes du désert.



- photo © Mehdidou DZ - 


Bou-Saâda, est à deux cent cinquante kilomètres d’Alger, son nom arabe signifie « La cité des bonheurs ».  C’est un amoncellement de petites maisons, en toub ou pisé de terre séchée, avec des toits en terrasse. Au coin d’une ruelle, on peut voir une ghizane disant la bonne aventure, ou plus loin, sur la place Remlia, le dos bien calé contre un mur, le cordonnier, accroupi sur le sol, faisant son travail très sérieusement. Les arbres fruitiers : citronniers, abricotiers, orangers, néfliers, croulent sous les fruits et les fennecs, petits renards des sables, ne sont jamais très loin. On peut assister aussi, à la danse des Ouled Naïl, danseuses parées de leurs plus beaux bijoux, avec autour de leur cou des parures de pièces d’or. Leurs costumes - superposition de robes - sont richement brodés d’or et d’argent. À travers leur danse voluptueuse, la danse des foulards, on peut admirer la beauté de leurs gestes et de leurs attitudes.

Les dunes de sable de couleur ocre ondulent sous le soleil. Rien n’arrête le regard ; l’immensité du désert est grisante. Des gazelles passent à une vitesse incroyable, le ciel est incandescent. Quand nous arrivons assoiffés, Ali, l’ami de mon père nous attend près d’une grande tente aux couleurs bariolée. Il faut se baisser pour y entrer. Il est Kabyle, grand brun aux yeux bleus, son père est le Calife du village. Il est aimé et respecté. Les Kabyles, peuple venu du fond des âges, sont le peuple le plus ancien que la domination arabe a refoulé et nié sans jamais effacer sa légitime et orgueilleuse identité. Sa femme nous sert du thé à la menthe brûlant et très sucré, qui nous désaltère. Elle a de longs cheveux noirs, une étoile peinte au milieu de ses sourcils, un sourire éclatant, elle est vêtue d’un pantalon large en tissu fin et souple et d’un boléro chatoyant. De nombreux bracelets cliquettent autour de ses chevilles et de ses poignets.

Le soir, Ali a prévu une grande fête : méchoui, couscous, pâtisseries au miel, thé, danses, chants, joueurs de flûte et de darboukas : sorte de tambours en terre cuite décorée et peau de chèvre tendue. Ses enfants sont très curieux, ils ne quittent pas souvent leur désert, ils sont bruns et beaux. Ils nous apprennent à boire l’eau fraîche des gargoulettes, il faut tenir très haut la gargoulette, et verser le jet d’eau dans sa bouche ; après plusieurs tentatives, nous y arrivons, mais nous sommes trempés ! Ils touchent délicatement nos cheveux blonds, offrent des colliers et des bracelets à ma mère et à moi.

Mon frère, tout surpris, attend aussi son cadeau. Rien. Il commence à faire la tête. Alors, Ali avec un sourire se lève et sort de la grande poche de sa djellaba un petit poignard recourbé en argent ciselé, un bousâadi, et le lui tend : « Prends, c’est pour toi, tu es un homme maintenant ». Mon frère est aux anges, ma mère inquiète qu’il ne se blesse, mon père remercie son ami et va dans la voiture chercher tous les cadeaux que nous avons ramenés d’Alger pour eux. Il y a du tissu : fin voile tissé de fils dorés, ou argentés, des jouets, des grands plats, un Lion dressé sur ses pattes avant, sculpté en bois doré en provenance de Normandie pour Ali, et naturellement un plein panier de gâteaux pur beurre. Suprême gourmandise dans ce pays où l’huile d’olive est partout, elle est épaisse et presque verte et a un goût très fort. Les femmes s’en servent pour hydrater leur peau et leurs cheveux. L’huile est alors parfumée au jasmin.

Je ne sais pas où mon père a connu Ali, mais il est pour lui le frère qu’il n’a jamais eu. On pourra toujours compter sur son amitié et sa fidélité ; le temps, la suite des événements nous le prouveront. Il protégera toujours mon père, même contre les siens.

Le soir, nous dormons sous la tente, les femmes et les enfants d’un côté, les hommes de l’autre séparés par des tentures de peaux, sur plusieurs épaisseurs de tapis, de précieux kilims, recouverts de couvertures tissées, aux couleurs éclatantes, avec une multitude de coussins. Quelques kanouns : récipients en terre cuite remplis de braises réchauffent un peu l’atmosphère car les nuits dans le désert sont glaciales….     

(à suivre)