L'Affaire Dominici... le mystère est resté entier.

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Catégorie Les paradoxales

A l’occasion, en 1973, de la sortie du film consacré à l'Affaire, Fernand Dartigues, qui avait assisté au procès aux premières loges, avait donné son sentiment. Il avait plutôt déjà captivé un public passionné par le sujet au cours de plusieurs conférences organisées par la société Dante Alighieri.


- Jean Gabin, dans le film de Claude Bernard-Aubert -


Ce procès, dès le 24 novembre 1954, je l'ai suivi avec un étonnement qui toucha plus d'une fois à la stupéfaction. Il y avait tout d'abord cette mise-en-scène, ce rituel de la Cour d'assises, tous ces magistrats, ces porteurs de robes et de toges, ces gendarmes, ces jurés, ce public... Et enfin, cet homme seul, ce vieillard à la moustache blanche, pour qui tout le monde était là. L’exiguïté du local et le nombre des participants rendaient l'ambiance indescriptible, le spectacle fascinant.

Et surtout, surtout, j'eus l'impression d'assister, tout au long de ces huit jours, à ce qu'il y a de plus dramatique et de grotesque, de pathétique et d'inconséquent, en la matière. N'oublions pas que durant quinze mois, toute la presse avait entretenu ses lecteurs des péripéties de l'enquête. La ville de Digne était bouleversée par la présence de cent journalistes et d'une foule à la curiosité malsaine. De quoi s'agissait-il donc ? De l'assassinat de trois Anglais sur un coin de terre de la région, d'une trop longue pantalonnade, dans un milieu rural quasiment impénétrable, de l'inculpation d'un vieillard dont on croyait de moins en moins qu'il fut le seul coupable. Entassés durant des heures dans une salle qui imposait le coudoiement à tous : juges, avocats, témoins compris, nous restâmes une semaine à suivre des débats, captivants certes, mais d'une telle incohérence que je mets au défi le spectateur le plus attentif, le plus observateur d'en avoir gardé, après chaque séance, un souvenir précis et chronologique.

Cela commença par la déposition du... concierge du Palais. C'est à lui, en effet, que Gaston s'était confié. Ce brave homme raconta longuement comment, de fil en aiguille, au cours d'un bavardage anodin, l’inculpé avait fait état d'un comportement dont on pouvait déduire qu'il s’agissait bien d'un assassin soulageant brusquement sa conscience. Or le commissaire Prudhomme, alerté peu après, devait confier au gendarme Sabatier qu'il ne croyait pas devoir enregistrer De tels aveux, Gaston Dominici lui ayant déclaré qu'il faisait ça pour lui faire plaisir !

Cette première journée devait être, sinon la plus importante, du moins la plus dense dans son déroulement. Mon Dieu, quelle engeance que celle dont on voyait les spécimen défiler tour à tour à la barre... Placé tout près du Président, Armand Salacrou et Jean Giono n'en perdaient pas une, manifestement passionnés par les personnages et les situations qu'ils avaient sous les yeux.

On ne peut manquer d'éprouver autant d'émotion que de curiosité lorsqu'on a devant soi ce type de vieux paysan, à qui l'on n'a laissé aucun choix, car il s'agit pour lui, tout simplement, de sauver sa tête, alors qu'on s'exerce âprement à le faire condamner à mort. Je l'ai déjà dit. C'est vrai, mais je fus constamment choqué par l'attitude des magistrats vis-à-vis de Gaston. Pour ce qui est de l'accusateur public et de l'avocat de la partie civile, c'était, en somme, leur boulot que de charger l'inculpé. Mais, que penser de ce Président, aux pouvoirs discrétionnaires, qui  disait notamment: « Vous vous prétendez innocent » et qui lui parla toujours assez arbitrairement, pour en perdre sa qualité d'arbitre ! A plusieurs reprises, son agressivité était telle que le vieux, interloqué, en perdait le souffle.

Lorsque Gaston évoqua la fête de famille qui  qui eut lieu le jour de ses cinquante ans de mariage, le président ne lui lança-t-il pas : « Tiens, vous ne l'appelez plus la Sardine, ni vielle salope ! » « Laissez-moi parler » lui dit le vieux, trop souvent interrompu. Et, c'est vrai, que l'on eut beaucoup gagné à l'entendre, plutôt que tant de témoins qui ne témoignèrent de rien. Pour commencer, l'acte d'accusation, lu en public lors du premier jour, le présentait de la façon la plus noire. On lui reprochait d'être querelleur, buveur, autoritaire et renfermé, or ce portrait, que l'on eut pu faire de bien d'autres, ne correspondait pas réellement au personnage, ni meilleur ni pire que les autres gens du pays. 

De toute évidence, un procès d'une telle ampleur, se déroulant dans de telles conditions, ne peut être évoqué par le détail et c'est dommage, car un grand nombre de ces détails possèdent une valeur révélatrice. Il faudrait pouvoir revenir sur les déclarations du docteur Dragon, du capitaine Albert, de monsieur Duc, de l'invraisemblable Panayotou... et de tous ceux qui, tour à tour, fournirent les indications les plus contradictoires dont la somme fut de nature à éloigner la vérité bien plus qu'à la faire paraître.

Curieusement, tout au long de cette semaine de procès, j'eus l'impression que l'on jouait un jeu, mais que, hélas, on ne jouait pas le jeu ! La plupart des protagonistes de ce drame me firent l'effet de « faire semblant ». La défense elle-même m'étonna plus d'une fois par son absence d'efficacité, par le souci qui paraissait être le sien d'éviter toute nouvelle révélation. D'un côté comme de l'autre, il fallait sans doute s'en tenir au seul dossier même si ce dossier présentait de nombreuses et graves lacunes.

Tout comme Jean Giono, Armand Salacrou et Pierre Seize, je ne pouvais oublier que sur ces mêmes terres, l'occupation et la Résistance avaient tout rendu possible : l’argent tombait du ciel, les crimes commis au nom des grands principes étaient assurés de l'impunité, pour peu que l'on sache se taire. Et l'on savait très bien le faire. On n'ignorait pas que sur la Grand-Terre et ses environs bien des choses s'étalent passées qui pouvaient avoir quelques liens avec cette incroyable tuerie. Restait, sans doute, à trouver l'enchaînement entre les événements, nul ne sembla s'en soucier, pas même lorsque le commissaire Chabrier, un an plus tard, fut chargé de reprendre l'enquête. Gracié quelques années plus tard, le vieux ne fit jamais les révélations plusieurs fois promises ni le testament qui devait tout révéler. Parce qu'il était vraiment le coupable, ou parce que le secret le dépassait ?