Ces fake news qui faussent notre jugements...

Catégorie Les paradoxales

Les fausse informations ont toujours existé mais avec l'avènement des réseaux sociaux et des techniques de « deep fake », elles ont pris une ampleur considérable ces dernières années. En quoi ces fausses informations impriment-elles leurs marques dans nos mémoires collectives et individuelles ? Qu’est-ce qui les caractérisent et quelles sont leurs particularités ? Comment peut-on s’en prémunir ? Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l'intelligence artificielle, ex-Président du comité d'éthique du CNRS et membre du Conseil Scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires, livre ici ses réflexions. Extraits :



- Jean Gabriel Ganaschia  © MoricetteMartin - 


Les « fake news » sont des informations fausses transmises dans l’intention délibérée de tromper. C’est une pratique qui commence très tôt avec les libelles, les rumeurs et la « propagande ». Dans ce dernier cas, ce sont des États qui tentent de forger l’imaginaire collectif. Au XXe siècle, les USA ont joué un rôle central dans leur théorisation. Des philosophes comme Walter Lippmann ont réfléchi à la façon de « fabriquer le consentement » public à l’aide notamment de stéréotypes sociaux et d’images subliminales. Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud, a utilisé ces techniques à des fins de manipulation de l’opinion publique grâce aux médias de masse. En France, le journal du 20H a longtemps joué ce rôle de création d’une conscience collective.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, les « fake news » ne sont plus tant diffusées par des États voulant forger une vision unique, mais par de très petites communautés avec des perspectives particulières, ce qui aboutit à une mémoire collective émiettée et une société fragmentée. Nous sommes passés de la rareté de l’information et d’un pouvoir central qui la monopolisait à des « bulles informationnelles » qui enferment les individus dans leur univers, chacun recevant l’information qui le satisfait grâce à un « profilage » réalisé à l’aide de l’intelligence artificielle. S’il y avait une violence dans le fait de vouloir imposer une vision unique, il y en a également une à présent dans une société éclatée, où plus personne ne se comprend.

Les ressorts sous-jacents à la diffusion des « infox » tiennent à la saturation de l’attention dans un univers de surinformation. Les algorithmes des réseaux sociaux ne censurent pas, mais ils promeuvent les contenus les plus radicaux qui font écran aux autres informations. Les messages frappants qui ont un caractère émotionnel marqué, et notamment ceux qui expriment de la colère, comme l’a expliqué la lanceuse d’alerte Frances Haugen, sont avantagés par les réseaux sociaux, car ils suscitent des réactions vives, ce qui accroît le flux. En outre, il est désormais possible de fabriquer des « deep fake », ces vidéos truquées permettant de faire prononcer un faux discours par quelqu'un, y compris des personnalités politiques, ce qui amplifie les possibilités d’étonner le public et, là encore, de susciter de vives réactions.

L’essor des infox est d’autant plus préoccupant qu’un démenti ne permettra pas d’effacer de toutes les mémoires le souvenir de la fausse information, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un contenu visuel ou répété. De plus, certaines « légendes » seront même renforcées par des tentatives de démenti, comme on a pu le voir lors de la crise de la COVID-19. D’où la nécessité de détecter les fausses informations en amont, avant leur encodage dans nos mémoires.

A côté de l’éducation à la démarche scientifique - plus qu’au seul sens critique - il est nécessaire de réguler les réseaux sociaux. Cela a été fait au premier semestre 2022 au niveau Européen, par l’adoption le 22 Avril 2022 d’une législation sur les services numériques, le DSA (Digital Services Act), un nouveau règlement qui vise à accentuer la répression de certaines dérives sur Internet. On peut recommander également la consultation des sites de vérification des faits (« fact-checking ») lorsqu’une information nous paraît surprenante ou suspecte, en particulier avant de la transmettre ou d’en parler à d’autres.