Musée Pierre Bonnard : la dernière exposition

confirme sa montée en puissance...

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Le thème choisi, le nu, et surtout la richesse de l’accrochage, attestent la mise en orbite du musée cannetan labélisé « Musée de France » et seul musée au monde dédié au peintre impressionniste.

Une jolie phrase repérée par Bénédicte Lecat, « la Femme, Ève, a d'abord été la fille du rêve et tout d'abord le corps du rêve de l'homme », semble particulièrement appropriée pour aborder en toute connaissance de cause la nouvelle exposition mise en scène au Musée Bonnard du Cannet. Le prêt improbable d’une magnifique toile de Gauguin donne le la à cette recherche originelle qui n’est pas péché, le désir de l’homme pour le corps de la femme. Si cette attirance est la condition nécessaire à la reproduction de l’espèce, l’humanité l’a vite transcendé. Les Vénus façonnées par nos ancêtres les plus lointains indiquent déjà le regard quasi obsessionnel de l’homme pour le corps de la femme. Génération après génération d’artistes, Ève est le sujet qui, par son intemporalité, en devient définitivement moderne.


Pierre Bonnard (1867-1947), L'homme et la femme, vers 1900 - Musée d'Orsay, Paris - huile sur toile - 115 x 72 cm - © Adagp, Paris 2013 - © Photo RMN - Tony Querrec


Regards croisés sur les cimaises du Cannet de Matisse, Dufy, Chagall, Picasso, Arp, Rodin, Rouault, Masson, Maillot, Sérusier, Giacometti et quelques autres artistes moins connus comme Maurice André, Émile Bernard ou Julio Gonzalèz mais qui pour la circonstance complètent admirablement... le tableau. Des pièces exceptionnelles ont été réunies grâce à des liens privilégiés entretenus par la conservateur du Musée, Véronique Serrano, auprès des collectionneurs et Musées nationaux. Des prêts rares qui reflètent l’estime qu’a acquis le musée depuis son ouverture en juin 2011. Un musée tout à fait abouti avec son architecture panaché de modernité et de rappel à un style art déco. Un musée qui inspire confiance aux prêteurs car il répond aux normes les plus strictes quant à la protection et la préservation de leurs œuvres (taux d’humidité, température, lumière, sécurité...).

Au total, 70 peintures et sculptures de symbolistes, nabis, fauves, cubistes et surréalistes mettent à nu les corps, avec beaucoup de nuances. Il y a de la pudeur, de l’impudeur aussi, de l’érotisme, du voyeurisme peut-être, des attitudes respectueuses, interrogatives encore car au fond, cet effeuillage ne résout pas pour autant l’interrogation que pose la femme à l’homme... Mieux la dévêtir pour mieux la percer ou mieux la comprendre et pour mieux l’aimer ? Le mystère... Picasso reste entier.


Le visiteur ému, troublé, jamais indifférent, pourrait s’amuser à désigner son nu préféré en fonction de ses propres « affinités électives ». Pas facile devant tant d’approches diverses. Se laissera-t-il davantage émouvoir devant la fragilité des statuettes de Giacometti, ou face à l’étrange interrogation que pose Bonnard nu et séparé de son modèle nu par un paravent, ou de l’Ève pudique de Rodin qui s’oppose à celle, déchue, de Rouault ?


Pablo Picasso (1881-1973), Nu sur fond rouge, vers 1905-1906
Paris, musée de l'Orangerie, collection Jean Walter et Paul Guillaume
huile sur toile 81 x 54 cm © Succession Picasso, 2013  ©RMN-Grand Palais (musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski

Pour l’anecdote ou pas seulement, la présence du panneau d’André Masson (huile et tempera sur bois) qui servait de paravent pour dissimuler la provocante « Origine du Monde » de Courbet installée dans le cabinet du célèbre psychanalyste Jacques Lacan... Aussi le Nu sur fond rouge peint par Picasso vers 1905 et qui représente une de ses premières compagnes, Fernande Olivier dont il réalisera une soixantaine de portraits. Le corps musclé dévoile une cicatrise qui pourrait bien être celle laissée par une césarienne tandis que le visage est annonciateur de la période cubiste du génie catalan.


Une exposition qui marque sans doute un tournant dans l’évolution du musée dont la notoriété grandit au fil des thèmes choisis et de la grande qualité et diversités des œuvres. Comme pourrait le dire René Huyghe : elles nous permettent de dialoguer avec le visible !


Pierre Bonnard (1867-1947), Marthe debout au soleil (Montval), 1900-1901 - Musée Bonnard, Le Cannet, conservé au musée d’Orsay, Paris - Tirage moderne réalisé à partir d’originaux - 15 x 20 cm - © Patrice Schmidt - © Adagp, Paris 2013



Un bel ouvrage vient compléter la visite de l’exposition : « Le nu de Gauguin à Bonnard », Ève, icône de la modernité - préfacé par Michèle Tabarot avec de nombreuses contribution de spécialistes - fait aussi office de catalogue - 170 pages - 29 €


Musée Pierre Bonnard
16 Boulevard Sadi Carnot, 06110 Le Cannet
Fermé le lundi - tel. 04 93 94 06 06