Cannes : les pieds dans le plat, les pieds dans l'eau

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ou plutôt d'abord les pieds dans le sable. Pas forcément d'ailleurs en éventail si l'on veut éviter les mégots de cigarettes avant de s'immerger dans la Grande bleue et d'y nager.

Les élus-nageurs de Cannes, accompagnés de responsables administratifs et d’éminents représentants du tourisme local, ont pris un bain, pas de foule cette fois, pour mieux démontrer que selon eux, l’eau de mer était d’une qualité sinon parfaite, du moins tout à fait convenable. Une belle opération de communication !

Pour certains Bé-baie nageurs qui durant six mois de l’année nagent tous les jours sur plusieurs kilomètres et chaque dimanche ou presque le reste du temps, le bilan subjectif n’est pas aussi irréprochable. Ainsi, ils constataient ces jours-ci et à plusieurs reprises, des effluves peu ragoutants au niveau de l’ancien quai des Chantiers navals de La Bocca. Que dire les lendemains d’orage de l’état de la mer… des déchets flottants à sa surface les jours de vent d’Est ? Quant aux nombreux ruisseaux qui, canalisés sur les derniers hectomètres ou kilomètres, aboutissent à la mer, ils charrient une eau polluée tout au long de leur parcours. La plupart d’entre eux y arrivent par des conduites qui se prolongent sur environ une centaine de mètres sous l’eau. C’est tout ? Oui, c’est tout ! Nous ne dirons rien sur la station intercommunale de traitement des eaux en construction et le temps qu'il a fallu pour traiter ce dossier au détriment de la qualité de la mer et de la santé de ceux qui s’y baignent (poissons compris…).

Ni vu ni connu je t’embrouille ! Sauf pour les Bébaies nageurs qui goûtent peu cette proximité… Les autorités s’abritent, elles, derrière les résultats des 400 prélèvements effectués tout au long de l’été. Pas questions de mettre en cause leur exactitude, reste des interrogations : quand sont-ils effectués, à quelles heures, à quelle distance du rivage ? Qui peut le plus peut le moins et donc, logiquement, ces prélèvements devraient être faits aux heures d’affluence, dans la zone où se baigne le plus grand nombre (surtout les plus petits et les plus vulnérables). Quant aux Pavillons bleus qui flottent allégrement, ils sont faits pour rassurer un public qui fait confiance aux autorités (on le sait bien, le nuage de Tchernobyl s’est bien arrêté à nos frontières !). Un parfait alibi ! Pourtant, le député, à l’époque maire de Villeneuve-Loubet et conseiller général de Cagnes-sur-Mer, Lionnel Luca, protestait vigoureusement et à juste raison, sur les critères retenus pour obtenir le fameux passeport bleu. Comme lui, les Bébaies nageurs cannois restent un brin dubitatifs. Le pavillon bleu ? Peut mieux faire !

La journaliste de Nice-Matin, Gaëlle Arama, qui couvrait le bain des élus-nageurs (en fait, ils étaient à notre connaissance, trois), pose judicieusement d’autres questions. Quel est par exemple l’impact écologique de ces monstrueux bateaux de croisière qui défigurent le lieu, de plus en plus nombreux à envahir la rade de Cannes ? De tous ces bateaux à moteurs qui foncent plein gaz comme si bientôt nous n’allions pas en manquer ? Les déchets issus de ces beaux et chers feux d’artifices qui amusent le bon peuple avide de pain, de vin et de jeux, n’ont-ils aucune conséquence sur la qualité de l’eau et du biotope ?

Cette baignade était organisée pour contrer l’action médiatique et répondre par l’humour (dixit David Lisnard, premier adjoint du maire Bernard Brochand) à la très sérieuse inquiétude de Laurent Lombard, pêcheur local. Celui-ci a réussi à faire le buzz dans les médias en déployant une bannière sur le phare du vieux port de Cannes pour dénoncer la pollution de la Méditerranée et le rejet à tout va des eaux usées. En effet, pas question de faire peur aux touristes, ce n’est bon ni pour le commerce ni pour l’image de la ville et de la Côte d’Azur. D’ailleurs, rassurez-nous, ce n’est pas qu’à Cannes que le problème ou l’absence de problème (les résultats des analyses sont là pour le prouver), se pose ou ne se pose pas !

On pourrait en rajouter une couche en faisant un parallèle entre les routes de l’Estérel qui sont devenues le terrain de jeu des amateurs de sensations fortes en moto et les routes maritimes livrées au bon plaisir des plaisanciers. Sachant qu'il y a plaisance et plaisance, celle qui prend en compte la situation écologique et tâche de conjuguer l'exercice de ce loisir avec le développement durable et… l’autre. Que dire de ces nababs qui viennent mesurer à l'aune de la longueur de leur bateau, leurs richesses et de leur célébrité. Dis-moi qui a la plus grosse ? À moins de 80 mètres de long, tu ne pèses pas lourd ! Tiens, que dis-tu de ce yacht, le Wallypower, tout en fibre de verre et teck, capable de filer à 60 nœuds. Cela lui permet de relier Cannes à Saint-Tropez en moins de temps qu’il faut pour prendre un coup de soleil. À raison de 4 tonnes de carburant à l’heure, la facture est de 6 000 € pour ce modeste trajet… Une paille ! Vulgus pecus, serrez-vous la ceinture, faites des économies de carburants, soyez bien sûr que d’autres se chargent de les dépenser. Mais, l'ultime alibi est toujours le même, ça fait marcher les commerces de luxe de rue d’Antibes et remplir suites princières et restaurants sur La Croisette !