Cannes : Petite musique de nuits aux nocturnes du Suquet !

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La Camerata de Lausanne berce le petit monde de Notre Dame de l’Espérance avec Mozart, Tchaïkovski et… Nino Rota !

Les spectateurs de la Camerata de Lausanne avaient-ils fait abstraction du battage médiatique de « Mozart », l’opéra rock de Dove Attia pour se précipiter aux Nuits du Suquet ? Ils n’avaient sans doute pas pris pour leur compte la mise en scène libertine du révolutionnaire musicien. Car le Mozart qui est monté dans la cour de Notre-Dame de l’Espérance avait laissé ses prétendues frasques en coulisses mais avait emmené sa musique et sa célébrissime « petite musique de nuit. »

La Camerata de Lausanne s’est chargée de faire la transmission musicale. Un morceau aussi traditionnel pour un ensemble à cordes si singulier peut prêter à sourire. La Camerata de Lausanne n’est pas un regroupement musical comme les autres. Un peu comme une confrérie, les futurs membres doivent être auditionnés puis doivent démontrer leur personnalité et se confronter à l’épreuve du jeu en communauté. Si le nouvel élément est accepté par le groupe, un engagement d’un an renouvelable est alors proposé au musicien novice dans l’association. Évidemment les musiciens sont pour la plupart d’anciens élèves du conservatoire de Lausanne, l’audition est cependant ouverte à tous les musiciens. Il n’est donc pas si étonnant de voir des altistes asiatiques faisant face à une violoniste russe côte à côte avec une contre bassiste bulgare.

N’y a-t-il point un meneur dans ce melting-pot de nationalités ? À priori non, car c’est aussi une particularité de la Camerata de Lausanne de n’avoir aucun chef d’orchestre pour mieux permettre le développement de chacun. Mais on sent très vite tous les regards, spectateurs et musiciens compris, converger vers un seul et unique personnage, violoniste grisonnant, Pierre Amoyal. Non pas meneur dictatorial mais directeur artistique fédérateur, l’enseignant français du conservatoire de Lausanne mène un peu l’ensemble à la baguette de son Kochansky, Stradivarius datant de 1717, et veillant au grain par un simple regard éloquent.

C’est vrai que l’ambiance est un peu à déstresser. L’harmonie parfaite de tous ces archets mouvant à l’unisson fascine certes mais, la symétrie étant tellement parfaite, elle confère un air un peu trop scolaire au mythique morceau « nocturne » de Mozart. Après la tradition autrichienne du XVIIIème siècle, voilà la modernité italienne. Par un simple aller-retour de l’Eglise à la scène, la Camerata de Lausanne inaugure une nouvelle partie beaucoup plus déconcertante ! Pince à linge sur la partition, main sur l’archet, le départ se fait dans un murmure pour l’ensemble au complet. Pourtant très rapidement, chaque groupe de 2 à 6 musiciens prend son indépendance et les nouveaux duos ou quatuor vibrent dans des crescendos et decrescendos bouleversants. Face à une partition difficile et souvent confuse, les musiciens ne peuvent qu’avaler, yeux grands ouverts, les notes imprimées. D’autres, pour marquer le tempo, secouent la tête frénétiquement. Le public, au départ si inerte, se prend au jeu et frémit à son tour aux pincements lestes des cordes. L’attention est si suspendue à l’archet qu’à la première changement de page, la confusion est au rendez vous. Certains n’hésitent pas à siffler les départs d’applaudissements courtois ou passionnés.

Comment s’affairer dès la fin de la première page alors que le concerto pour archets de Nino Rota comporte 6 mouvements ? Le compositeur italien, célèbre pour ses collaborations à « Rocco et ses frères » ou la « Dolce Vita », est trop méconnu sur le plan classique. Ses mouvements en mineur et aux dissonances exquises sont à la hauteur de ses contemporains russes, comme Béla Bartok. Pierre Amoyal finit sa prestation moderne par un solo qui sera vite rejoint par les autres violonistes. Les musiciens se sont divisés, faisant vibrer le sol mais conserve dans une unité parfaite.


- la Camerata de Lausanne -

Avec une première partie entre tradition et modernité, il fallait bien que la suite soit dans le même ton. Quoi de mieux que Tchaïkovski, compositeur du XIXème siècle pour résumer les 2 pans de la musique classique ? Un mélange auditif comme visuel : les musiciens et musiciennes européennes vêtues de la tête au pied en noir, sobres et élégants, font face aux jeunes altistes coréennes et japonaises étincelantes dans leurs robes colorées. Les arpèges à la sauce classique précèdent les solo de violoncelle bien plus rares et plus insolites. Le violon prend alors le monopole du solo musical et chaque violoniste prend, tour à tour, le relais pour assurer la suprématie de sa « voix » principale sur l’accompagnement ou les pincements des autres cordes. Les ralentissements et les silences passent pour des anomalies au sein de ce spectacle si fourni mais annoncent la fin de la prestation.

Le crescendo de la fin du « Souvenir de Florence en ré mineur, opus 70 » contraste avec le silence final où les musiciens à cordes ont l’air de saluer le public, archets en l’air. Face à cette quiétude regrettable, le public en redemande. Pierre Amoyal en a conscience et après avoir remercié le directeur artistique du festival, Gabriel Tacchino, termine avec sa compagnie sur un Aria de Jean Sébastien Bach, plus sinistre et solennel que l’ensemble du spectacle. Le parvis de l’Eglise Notre-Dame d’Espérance ne possède pas une acoustique extraordinaire mais jouer devant la digne église du Suquet représente un privilège et un plaisir nocturne. Le public sait bien que ces Nuits musicales illuminent les regards et le cœur de la vieille ville.

Les musiciens ont profité de ces derniers instants, avant de repartir jouer en Suisse en septembre prochain et d’auditionner ses nouveaux membres, le 14 septembre au conservatoire de Lausanne.