Festival de Cannes : J moins 9,

Les médias, pléthore ?

Le succès aidant, tout le monde veut y être à défaut d’en être. Les médias délèguent leurs journalistes, les pigistes s’improvisent critiques de cinéma. Ils sont de plus en plus nombreux, de plus en plus insistants, de plus en plus exigeants, de moins en moins considérés, et pas forcément de plus en plus compétents…

En 1966, 700 journalistes avaient été accrédités, en 2007, ils furent 3611, en majorité travaillant pour la presse écrite. La présence étrangère est majoritaire avec maintenant la participation de 82 pays alors qu’en 1990, ils n’étaient que 58. Une preuve, s’il en était besoin, que le Festival a pris une dimension planétaire.

Qu’en était-il en mai 1957 ? Aux balbutiements. Je pense me rappeler qu’ils étaient une poignée, 200 environ à être accrédités. Ils ne restaient pas tous durant les 15 jours que durait le Festival. Pas plus que quelques dizaines qui arpentaient inlassablement les couloirs de l’ancien Palais, visionnaient aux premiers rangs les films dans la grande salle, donnaient leurs rendez-vous au bar du Carlton, se bousculaient au Blue-Bar ou au Petit Carlton… parlant haut, faisant ou défaisant des auteurs et des réputations.

Les responsables du Festival leur avaient attribué un couloir en guise de salle de presse (voir la photo). Y étaient installés, face à la mer, une rangé de bureaux d’école et quelques machines à écrire. Au fond, sur un petit tableau, on affichait les projections du jour et du lendemain, ainsi que l’annonce des conférences de presse. Moments gratifiants où je pouvais côtoyer, dans le sillage de mon père qui était alors correspondant pour le quotidien « La Suisse », les grands réalisateurs et les vedettes. Le tout dans une ambiance décontractée et le plus souvent chaleureuse. Quelle merveilleuse éducation et quelle ouverture sur le monde que d’écouter et de voir des artistes du monde entier s’exprimer dans leur langue.

Quel privilège et quel bonheur d’assister à la projection de films chinois, suédois, sud-américains… en version sous-titrée. En soirée, les journalistes se retrouvaient de nouveau dans les étages du Palais, assiégeant les « téléphonistes » de service pour câbler leur article… en lignes, à paraître le lendemain. On croisait alors Jean Bresson, Mario Brun, Jean Diwo, Henry Chapier, Jean de Baroncelli ou encore Jean-Louis Bory…

Ces journalistes étaient-ils meilleurs, plus professionnels, plus passionnés que ceux d’aujourd’hui ? En tout cas, les grands noms du cinéma mondial réunis lors d’une conférence de presse du Festival dernier, n’ont pas semblé très impressionnés par la qualité des questions qu’on leur posa. Tant et si bien que Roman Polanski quittait la salle en « bougonnant » qu’on ne l’y reprendrait plus… et implicitement appelant Theo Angelopoulos, Olivier Assayas, Bille August, Jane Campion, Chen Kaige, Youssef Chahine, Michael Cimino, Jœl et Ethan Cœn, David Cronenberg, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Manœl de Oliveira, Raymond Depardon, Atom Egoyan, Amos Gitai, Hou Hsiao Hsien, Alejandro Gonzalez Inarritu, Aki Kaurismäki, Abbas Kiarostami, Takeshi Kitano, Andreï Konchalovski, Claude Lelouch, Ken Loach, Nanni Morretti, Roman Polanski, Raul Ruiz, Walter Salles, Elia Suleiman, Tsai Ming Liang, Gus Van Sant, Lars Von Trier, Wim Wenders, Wong Kar Wai, Zhang Yimou, à le rejoindre au restaurant. Polis et respectueux des conventions, engourdis aussi par la banalité des questions posées, tout ce beau monde resta encore un moment, un peu interloqué…

  • dans leur couloir de presse, les journalistes de ce 10ème Festival, paraissent un instant distrait de leur travail par le passage de la vedette du film italien « Guendolina ». Cette niçoise, Jacqueline Sassard, qui promettait de devenir une nouvelle Audrey Hepburn, ne tint pas les siennes… Ce cru 1957, était pour Marcel Pagnol, membre du jury, « un retour au bon vieux théâtre libre. On sert de la tranche de vie à chaque repas ». D’après le rédacteur de Paris-Match, jamais encore, en effet, on n’avait vu une telle profusion de misères, d’accidents, d’insurrections, de guerres… Le pauvre, il ne pouvait prédire les déchaînements de violence qui allaient envahir les programmes du petit et du grand écran !



Alain Dartigues

- mention : www.pariscotedazur.fr – mai 2008 –
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