Alpes-Maritimes : des collégiens dans les camps de la mort

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Catégorie Les paradoxales

Une initiative ambitieuse de la part du Conseil général.


- Birkenau -

Pendant que des lycéens s’essayaient à la critique dans le cadre des Rencontres cinématographiques de Cannes, des collégiens faisaient l’aller retour Nice-Cracovie. L’opportunité pour eux de se trouver confronté avec l’horreur des camps de concentration et d'extermination de Birkenau et d’Auschwitz. Une expérience qui ne peut laisser personne indifférent.

C’était le vœu de Christian Estrosi, député-maire de Nice et personnalité incontournable de l’UMP départemental et maintenant national : que tous les collèges des Alpes Maritimes envoient des représentants capables de rendre compte de ce délire qui conduisit des millions d’innocents à côtoyer l’innommable et pour la plupart à en mourir. Des collégiens-ambassadeurs qui allaient passer le mot, pour que les nouvelles générations ne puissent pas dire « Hitler, connaît pas ! ». Pour que personne ne puisse ignorer la « Shoah », les fours crématoires, les corps… défigurés. Pour que chacun sache ce qu’une idéologie véhiculée par une élite, peut faire commettre à un peuple, à plein de monsieur tout-le-monde, à des gens, autrement si ordinaires, des gens qui trouvaient toujours le dimanche quelqu’un pour les confesser et les absoudre…

Une première série de voyages permit à 2 600 collégiens de faire le déplacement en Pologne, de décembre 2003 à mai 2005. Elle fut suivie par une autre en 2007-2008. Un nouveau cycle vient de commencer. Il s’étendra lui aussi sur deux années. Des élèves des collèges Jean Franco de Saint-Etienne-de-Tinée, Jean Salins de Roquebillière, Henri Matisse de Nice et du collège Bertone d’Antibes avaient fait cette fois le trajet. L’aller-retour dans la journée, cinq heures du matin 23 heures. Intense, fatiguant physiquement, moralement, spirituellement…

C’est une chose que de lire un livre, que de voir un film, si émouvants et si poignants soient-ils. Simple ouï-dire ! C’est autre chose que de fouler le sol de Birkenau et d’Auschwitz, où tant d’hommes, de femmes et d’enfants ont pleuré et agonisé. C’est autre chose de mettre ses pas dans les pas de tant de martyrs innocents, de marcher dans ce mélange de terre et de cendre… Tourisme de la mémoire, direz-vous. Ceci est pourtant un pèlerinage, et loin d’être anodin. Ce n’est pas Lourdes pourtant, on n’y vend pas de bouts de barbelés ni de chemises rayées made in China. C’est ici que le pire a triomphé du meilleur, pendant quatre longues, très longues années.

Nous avons passé la porte de l’enfer et marché tout le matin, silencieux, attentifs, dans les travées du camp de Birkenau, visiteurs incrédules des chalets en bois où s’entassaient les victimes d’une folie, institutionnalisée par quelques hommes. Des chalets où ils s’entassaient dans la plus terrible promiscuité, sur des châlits.


- Charles Gottlieb, mémoire vivante -

Un homme était avec nous, dans l’avion et dans les camps, infatigable marcheur, étonnant raconteur. Il avait, à l’âge de 18 ans, passé quelques mois du… mauvais côté des grillages barbelés. Charles Gottlieb. À 83 ans, il arpentait devant nous les ruelles détrempées, chercheur et chasseur de fantômes, témoin peu ordinaire prenant à… témoin le spectateur.

Le soleil se couche tôt en cette saison et c’est dans la pénombre que nous suivîmes tout l’après-midi notre guide à travers les blocs d’Auschwitz transformés en Musée de la mémoire. Dehors, une lumière avare, froide comme nuit et brouillard. Le guide distillait son récit. Là, dans l’air glacé, il nous faisait partager un peu, un tout petit peu, la peur, l’angoisse, le désespoir des habitants de ces camps sordides. Ils étaient debout dans l’attente de nouvelles humiliations, épuisés, prêts à se soumettre aux… mauvais plaisirs de leurs bourreaux. Nous savions nous, que nous allions bientôt regagner la sécurité et la chaleur de notre bus… C’est à ce moment là que la question qu’on devait se poser apparu comme une évidence : combien de temps aurais-je tenu dans de telles conditions ? Me serais-je révolté, aurais-je courbé l’échine, me serais-je fais discret, disposé à lécher la main du tortionnaire dans l’espoir d’échapper ou de retarder le pire ?


- les latrines collectives, comble de l'humiliation -

« On n’oublie rien de rien, on s’habitue c’est tout ! » chantait avec conviction Jacques Brel. Il s’agit ici, à la fin de ce voyage au centre de la désespérance, de ne pas oublier, ni les martyrs de la Shoah, ni les dissidents politiques, ni les homosexuels, les Slaves, les Tziganes, les handicapés… qui passèrent par les camps, y laissèrent leur dignité et beaucoup leur vie. Il s’agit aussi de penser à toutes ces guerres religieuses, ethniques, civiles, à tous ces bourreaux, toutes ces victimes qui jalonnent l’histoire de l’humanité. Ces guerres, en quoi sont-elles différentes les unes des autres ? Une vie ne vaut-elle pas une vie ?


- les châlits -

L’homme ne sort pas grandi de cette introspection. Il peut y entrapercevoir sa face cachée. Qui est-il vraiment, le bon ou le méchant, le yin ou le yang, le froid ou le chaud ? Puis-je jurer que je n’aurais pas été un de ces exécuteurs, à l’abri derrière des ordres à… exécuter sous peine d’être exécuté ? Ou bien aurais-je fait partie de ceux qui firent simplement preuve de compassion ? Aurais-je été de cette minorité prête à risquer ma vie et celle de mes proches pour porter secours ?

Que chacun fasse le tri et réponde pour soi… en toute incertitude.

  • Comment ne pas valider cette initiative, véritable opération de salubrité publique. Elle ne sera pourtant terminée que lorsque chaque participant aura fait face aux images et aux pensées dérangeantes engrangées durant ces quelques heures de solitude collective, que lorsqu’il aura été au bout de la nuit…


- entrée de l'enfer, le début de la fin -