Médias : la crise de la presse écrite,

Edwy Plenel, un ancien du Monde, fait le "Procès".

Catégorie Pieds dans le plat

Après avoir co-dirigé le quotidien français de référence, Le Monde, il fait le point. Edwy Plenel dénonce "une presse qui privilégie la logique économique au lieu de réfléchir au contenu et à l'attente des lecteurs". Un politique de survie pour de nombreux titres, faut-il ajouter, face à un public qui n'a plus les mêmes besoins et ne lit plus de la même façon. Son constat est terrible mais pas surprenant pour ceux qui vivent à l'intérieur du système. Ils leur faudrait être aveugle pour ne pas constater que la presse n'est pas vraiment libre et que, même si la censure d'état ne s'exerce pas directement, l'autocensure fonctionne, elle, à plein régime.

C'est que fabriquer un journal, payer les journalistes, les reporters et les photographes, le distribuer ensuite, tout ça coûte cher. Si cher qu'il n'est pas question que le lecteur en paye le prix réel. Comment faire alors pour le financer ?

Et bien, il y a la sacro-sainte publicité ! Celle qui vient des institutions et qui est par essence politique. Vous ne croyez pas quand même qu'on donne à n'importe quel titre les annonces légales du Conseil qu'il soit général ou régional ? Vous ne croyez pas qu'une municipalité va acheter des espaces publicitaires à des médias qui ne lui cireraient pas les pompes avec du bon cirage ? Ou alors elle le fera pour mieux contrôler ses effusions, un savant calcul qui agit parfois à titre préventif. Dis-moi qui sont tes annonceurs, je te dirais pour qui tu roules !

Et puis il a l'autre publicité, celle qui vient des commerces et des industries. Là aussi, prudence ! Quel directeur de publication se permettrait de développer des rubriques où l'on mettrait en cause l'intérêt, la nécessité ou la qualité de fabrication d'un produit dont, plusieurs pages plus loin, il ferait la "réclame" ? La publicité a permis de faire la promotion du sucre : en veux-tu en voilà, tant pis pour le surpoids et le diabète ! De la cigarette : t'auras l'air d'un cow-boy ! De l'automobile : ne te gênes pas pour appuyer sur l'accélérateur, y'a plein de chevaux sous le capot ! De l'alcool : c'est si convivial, une tradition nationale ! Des fast-foods nord-américains : viens jouer avec le clown Ronald, un jour tu deviendras grand et tu pourras amener tes enfants avec toi ! La publicité permet aux femmes et maintenant aux hommes aussi, de connaître l'image idéale, de se conformer aux standards à la mode, s'il le faut à coups de bistouris et de liposucceurs.

Qui va refuser de faire la pub de Knorr, de Liebig ou de Maggi ? Qui va cracher dans la soupe ? Qui va se priver des ressources des institutionnels et de celles des industriels ? Personne n'est suicidaire à ce point. Alors, on pratique l'amnésie sélective, on fait comme si… On fait l'impasse sur tel et tel sujet qui pourrait s'avérer dérangeant pour les annonceurs. On a tous des femmes et des enfants, n'est-ce pas !

Ne parlons même pas des journaux "gratuits". Ils font une belle percée mais l'information n'est pour eux qu'un alibi pour vendre autre chose que du papier… Pas question de polémiquer : quelques infos qu'on achète à l'AFP ou à Reuter pour se donner bonne conscience et faire croire au public qu'on fait du journalisme. Le tour est jouer ! Le gratuit : plus près du papier chiotte que des p'tits papiers de Serge Gainsbourg. Il faudrait laisser parler les p'tits papiers, à l'occasion papier chiffon. Puissent-ils un soir, papier buvard, nous consoler.

Bien évidement qui n'a pas dans sa manche un copain noir, une femme de ménage maghrébine - commode justification - quand on veut se disculper. Qui n'a pas un journaliste de circonstance qui fait bien son travail ? J'en connais moi aussi qui font tout ce qu'ils peuvent pour contourner les obstacles, pour se faufiler entre les lignes. Un petit plaisir qu'ils s'offrent à leurs risques et périls. Fonctionnaires de l'info, salariés du commentaire, leur rédaction ne tarde jamais pour les rappeler à l'ordre.

Seuls à échapper à la curée, les médias qui sont entièrement financer par leurs lecteurs. Mais à quel prix, quelques pages sans photos et une encre qui tâche les doigts. Vous en connaissez beaucoup à part le Canard et quels sont leur tirage? Il existe certes des télévisions et des radios communautaires en Amérique du Nord. Elles se doivent d'être consensuelles, aseptisées, pas un mot plus haut que l'autre. Surtout ne pas parler de Darwin ni des singes sur leur arbre généalogique.

Bonne nouvelle, il reste le monde sauvage du web. Le réseau, www, Internet, pour vous servir. Nouvel espace de liberté, illimité, peu coûteux, imprédictible, inespéré aussi. Même s'il est aux mains des américains, il ne doit pas nous faire peur. Autre débat. A suivre.

Il faut nous résoudre à faire le tri dans tout le fatras de l'information, apprendre à lire entre les lignes, lire des yeux, lire en travers, en diagonale, par-dessus l'épaule, lire s'il le faut dans le marc de café. Il faut se résoudre à penser par soi-même. C'est la deuxième bonne nouvelle de la journée.

- mention : www.pariscotedazur.fr - février 2006 -

N.B. : le livre de Edwy Plenel, Le procés est publié aux éditions Stock.