L’intelligence artificielle : éminemment politique…

Catégorie Les paradoxales

Alors que s’ouvrait le 14 avril dernier à Cannes le nouveau rendez-vous mondial en IA, le « World Artificial Intelligence Cannes Festival », le think tank SKEMA PUBLIKA publiait une nouvelle note sur l’intelligence artificielle : Quelles sont les principales puissances en IA dans le monde ? Quel positionnement pour la France en IA, sont les questions auxquelles répond une note de 10 pages (collection Incertitudes) établie sur la base du rapport « L’intelligence artificielle, technologies et acteurs clés » produit par plusieurs professeurs-chercheurs en management de l’innovation et sciences des données au sein de SKEMA, Ludovic Dibbiaggio et Lionel Nesta ainsi que le data scientist Mohamed Keita.


- IA, omniprésente mais mal identifiée (Ifop)…


La note et le rapport livrent un certain nombre d’éclairages (extraits) :

  • sur les 30 dernières années, les pays leaders en termes de production de brevets sont les États-Unis (30 %), la Chine (26 %), le Japon (12 %), la Corée du Sud (6 %), l’Allemagne (5 %), le Royaume-Uni (2,5 %), la France (2,4 %) et le Canada (1,9 %). Les États-Unis et les puissances asiatiques comptabilisent à elles seules près des trois quarts du marché de l’innovation IA. Avec plus de la moitié des parts de marché mondiales, les États-Unis et la Chine affirment leur domination.
  • selon le Tortoise Global AI Index 2021, qui évalue les nations en fonction de leur niveau d’investissement, d’innovation et de mise en œuvre de l’intelligence artificielle, les États-Unis et la Chine conservent leurs deux premières places. Le Canada conquiert la 4e place. Il se classe premier en stratégie gouvernementale (devant la Chine) et 6e en stratégie commerciale. La France et l’Allemagne quant à elles descendent au classement global pour atteindre les 9e et 10e places, juste après les Pays-Bas. Toutefois, la France se hisse à la 5e place mondiale en termes de stratégie gouvernementale, devant les États-Unis et l’Allemagne par exemple.
  • en avril 2021, l’Union européenne publiait son nouveau plan coordonné pour l’intelligence artificielle entre la Commission européenne et les États membres. Il s’appuie sur le premier plan coordonné IA de 201. Les objectifs sont notamment d’accélérer les investissements et d’aligner la politique en matière d’IA afin d’éliminer la fragmentation. Cependant, dans un domaine où les coûts d’investissements sont si colossaux, les décideurs français et européens sont sujets à « la dépendance au sentier » : leurs choix stratégiques futurs sont contraints par des choix passés qui les engagent sur le long terme. Ils doivent donc posséder une connaissance fine des avantages comparatifs de leurs pays et des pays concurrents dans les domaines relevant de l’IA pour cibler des investissements spécifiques leur permettant de fournir l’effort quantitatif nécessaire à l’accroissement de leur part de marché dans les secteurs jugés clés.

Bien que classés 7e en nombre de brevets produits, les acteurs privés français ont du mal à rivaliser avec des acteurs étasuniens, chinois ou même allemands, comme en témoigne l’absence d’acteurs privés nationaux dans le top 20 mondial des plus gros producteurs de brevets IA. Toutefois, la France est leader de l’innovation publique européenne avec six organismes de recherche présents dans le top 10 des acteurs publics européens. 

La France se caractérise par une forte vigueur de sa recherche publique dans le domaine de l’IA. Aussi, le décideur public doit s’appuyer sur cette recherche pour créer les conditions d’un transfert technologique vers des acteurs plus proches des marchés.

L’articulation entre acteurs publics et privés notamment est spécifique à chaque région du monde et à chaque pays. Les modèles d’interaction rencontrés sont d’une grande variété. Cela est encore plus évident si l’on s’intéresse au lien entre les entreprises dominantes nationales et les spécialisations des pays. Or, l’organisation de l’innovation IA est un élément crucial qui doit conduire les choix de politiques publiques.

La diversité des systèmes nationaux d’innovation invite à rester circonspects vis-à-vis des politiques de soutien à l’intelligence artificielle qui consisterait à imiter les politiques mises en œuvre dans un pays étalon. Au contraire, une telle diversité implique que ces politiques ne peuvent s’opérer hors sol, sans s’appuyer sur les acteurs clefs nationaux, et en exploitant les complémentarités entre domaines scientifiques, technologiques et fonctionnels les plus prometteurs pour le pays.

Pour construire ses avantages comparatifs, l’Europe doit ainsi envisager la construction d’un modèle européen de l’innovation dans le domaine de l’IA. Or les différences observées, notamment entre les systèmes d’innovation allemand et français, questionnent la faisabilité et la cohérence d’un modèle européen. Un tel système serait-il efficient ? Comment pourrait-il renforcer les spécialisations des acteurs clefs européens, publics et privés ? Il revient aux décideurs publics de répondre à ces questions, d’imaginer des organisations innovantes, étant dorénavant acté qu’être exclu des développements futurs de l’intelligence artificielle serait synonyme de perte d’influence au niveau international et d’autonomie économique future.

Les entreprises doivent ainsi ajuster leur modèle économique, réaliser les investissements complémentaires nécessaires, et adapter leurs compétences techniques et leur capital humain. De leur côté, les pouvoirs publics doivent ajuster les réglementations en vigueur, et assurer une offre de formation qui accompagne l’essor de l’IA, en investissant dans les infrastructures scientifiques et technologiques. CQFD !