Festival de Cannes : la fracture…

Acteur ou spectateur ?

- Chopard et Valentino, autre fracture festivalière…

Aujourd'hui mardi 22 mai. Laissons un moment l'actualité politique de côté. Il est grand temps de parler du Festival de Cannes, surtout lorsqu'on a sensiblement son âge et qu'on est tombé, comme Obelix, enfant dans la potion magique… Pas plus difficile que ça lorsqu'on est cannois, qu'on a un père journaliste (qui fonda en 1959 un magazine bimensuel nommé Cannes Festival, qui deviendra vite Paris Côte d'Azur) et membre fondateur du Ciné-club…

A cette époque bénite, il m'était facile de le suivre, facile aussi d'entrer par des portes non gardées dans le Palais, l'ancien, pour voler quelques images et profiter, en VO, de ces visions fulgurantes sur des mondes et des pays inconnus ou pourtant l'amour, la jalousie, la violence, et tous les sentiments qui nous animent, m'apparaissaient comme les dénominateurs communs de l'humanité…

Facile aussi, collé aux basques de mon père, de me faufiler avec lui dans la petite salle de conférence de presse du 3 ème ou du 4 ème étage… d'entendre les plus grands metteurs en scènes et leurs vedettes répondre aux questions des journalistes. Ils n'étaient guère plus de 200 à cette époque. Ils sont maintenant presque 5 000 à avoir obtenu le Sésame, le passeport, que dis-je le passeport, l'investiture (difficile, n'est ce pas, d'échapper aux préoccupations de tous ceux qui ne sont pas à Cannes et qui préparent les législatives ou mettent en place leurs équipes dans les ministères parisiens…). En principe ce badge leur permet de suivre l'événement mondial dans les meilleures conditions mais, depuis longtemps, s'il n'est pas accompagné de la pastille adéquate et d'autres badges de couleurs variées, il donne moins de droits que ceux que m'autorisait en ce temps ma débrouillardise.

Septembre 2001 est passé par là et nous a légué la crainte perpétuelle de l'attentat terrorisme. Il s'est créé autour de cette peur de nouveaux métiers liés à la sécurité et un nouveau marché. Il est florissant à Cannes durant le Festival et durant les congrès qui s'y déroulent le reste de l'année. La mondialisation nous en remet ici une couche, et là comme ailleurs, la vie dans nos sociétés se complexifie… créant entre tous des barrières, que dis-je, des barrières, des fossés infranchissables.

Il y a par exemple les journalistes qui ne peuvent assister qu'aux séances du petit matin ou du très tôt. Ceux là ne monteront jamais les marches du Palais, ne fouleront pas le tapis rouge, n'useront pas leur smoking. Ils ont comme seul droit, celui de porter aux quatre coins du monde la bonne parole… D'autres ne regarderont les conférences de presse que devant les écrans de télévision à l'entrée de la salle. Ils n'auront jamais l'occasion de poser des questions… seulement le droit d'écouter les réponses… D'autres seront invités par le maire à l'aïoli de la Castre, d'autres non. On ne peut pas recevoir en même temps et sur un si petit espace 3 000 ou 4000 membres de médias, quand même !

Du point de vue du professionnel comme de l'amateur averti ou non, la fracture, les fractures existent. C'est la vie, c'est pas du cinéma. Tu es dedans ou tu es dehors. Tu regardes ou tu fais. Le cinéma, c'est être en de hors. Les acteurs, les réalisateurs font – ils sont dedans – les autres regardent, font marcher leurs méninges, alimentent leurs réflexions, nourrissent leurs fantasmes… accessoirement, ils font marcher le tiroir caisse…

Acteur ou spectateur, il faut choisir. Spectateur pour être un jour acteur ou simplement acteur de sa vie parce qu'on a été spectateur d'une œuvre qui nous a transcendé, un livre, un opéra, un film… ou spectateur qui coudoie le temps d'une soirée, VIP, jet setters et autres vedettes dont les faits et gestes alimentent nos Voici, nos voilà et nos Gala… et qui se sent important à être de la fête, à être vu, à partager le même air…ou spectateur derrières les barrières, soutirant un sourire aux vedettes, un autographe… j'y étais, je l'ai vu. Ou spectateur autour d'un stade, membre de la foule des anonymes qui se pressent pour voir une seconde un acteur, un président de quelque république, un joueur de foot, et qui font la queue des heures pour vivre ce moment "inoubliable", anecdotique et vain…

Cette fête du cinéma ressemble de plus en plus à une foire (je sais, c'est exprès un peu péjoratif). Il est vain de s'en plaindre. Il n'y a rien à dénoncer. Tout le monde il est beau, tout le monde il est content, même si tout le monde il est pas gentil. Et tout le monde d'applaudir, même Roman Polanski, qui l'autre jour avait pété les plombs lors d'une conférence de presse, est rentré dans les rangs. Roman a oublié sa révolte dans le vieux Palais de la Croisette, c'était, tiens, tiens, en mai 68 … Mai 68, dorénavant politiquement incorrect. Michel Piccoli non plus n'a pas bougé, ni Bacri… La soupe est bonne et, comme disait mon père Fernand, si vous ne l'aimez pas, au moins, n'en dégouttez pas les autres…

Ce sera aujourd'hui le mot de la fin. Merci de votre attention…

- mention : www.pariscotedazur.fr - mai 2007 – Alain Dartigues –
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